Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/503

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et sans compromettre la paix. Une telle exagération est loin de notre pensée. Seulement cette politique est plus facile ou plus périlleuse suivant les conditions qui régissent la vie intérieure de la France. Il dépend en effet de la nature de ces conditions de restreindre ou de multiplier les points de contact et par conséquent les occasions de conflit entre les deux pays, et cela malgré, les intentions ou les desseins des gouvernemens de la France. Pour qu’un gouvernement pût être en effet maître de ses desseins au point de se croire à l’abri des entraînemens de l’opinion, il faudrait que le peuple dirigé par lui n’eût pas de vie collective et s’absorbât exclusivement dans les soins et les affaires des existences individuelles. Un tel phénomène n’existe pas, et il ne faut pas surtout s’attendre à voir jamais la France en donner au monde le miraculeux spectacle. Un grand peuple comme le nôtre possède les facultés et a le besoin d’une grande vie collective. Or que sont les élémens de cette vie collective par laquelle chaque citoyen d’un grand pays sort de l’étroite sphère de ses intérêts particuliers pour s’élever à la conception des idées et des intérêts qui composent l’existence nationale, et participer à l’action commune par laquelle cette existence se manifeste ?

La vie collective ou, pour employer le mot propre, la vie publique d’un peuple, c’est l’imagination, la raison, l’esprit de spéculation, l’ambition de ce peuple appliqués à toutes ses affaires générales. Il ne saurait donc être indifférent, pour la sécurité de la politique extérieure d’un pays tel que la France, que les alimens et les moyens d’action de la vie publique intérieure lui soient largement ou étroitement mesurés. Si la vie publique intérieure est large, ce pays y trouvera dans des questions importantes, qui touchent au progrès matériel, intellectuel et moral de ses citoyens,.un emploi vaste et incessant de son activité, et ne se laissera pas détourner de ses vrais intérêts par d’oiseuses et périlleuses questions étrangères. Si au contraire la vie intérieure est bornée et stérile, si elle laisse dans l’oisiveté les facultés politiques de la nation, si elle n’a pas de quoi occuper l’intelligence des classes éclairées et l’imagination des masses, le peuple portera sur les questions extérieures toute l’activité de son esprit. Tout contact et tout froissement d’intérêt avec une nation étrangère se grossiront dans son imagination, s’envenimeront des vieux préjugés qu’une discussion élevée ne pourra plus neutraliser ; toute difficulté extérieure deviendra un péril pour la paix, un embarras grave pour le gouvernement. C’est à dessein que nous présentons sous une forme abstraite les inconvéniens d’une trop sévère restriction imposée à notre politique intérieure : il sera plus difficile ainsi de donner le change sur la sincérité patriotique de nos intentions ; mais n’est-ce point là l’histoire de ce qui se passe depuis quelque temps sous nos yeux dans les dispositions de l’esprit public à l’égard de l’Angleterre ? Nous aimons à croire que le gouvernement déplore comme nous les excitations qu’une presse ignorante et grossière répand journellement dans l’opinion contre l’Angleterre : nous ne lui demanderons certes point d’exercer contre ces dangereux écarts de la presse l’action préventive ou répressive ; les journaux anglais eux-mêmes nous ont donné à cet égard une leçon de générosité et de bon goût en exprimant le regret que l’on eût frappé d’un avertissement les vivacités de M. de Montalembert contre la politique anglaise