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aux commentaires des laquais me soulevait le cœur de dégoût. Ce sont précisément ces êtres-là qui se trouvent toujours éveillés et prompts à se mettre aux aguets, quand l’amour se croit enveloppé dans les ténèbres.

Je racontais à Love, dans ces lettres qu’elle ne recevait pas, mes démarches et mes tourmens. Je la suppliais de me donner un rendez-vous en présence de son père. Il me semblait que si elle l’eût voulu, Hope eût pu l’ignorer. Elle répondait parfois, sans le savoir, à mes prières, car elle avait songé à cela d’elle-même ; elle me le disait, et elle ajoutait que cela était impossible, que M. Butler s’affectait beaucoup de la voir triste, et la suppliait de m’oublier. Elle s’efforçait donc devant lui de ne pas paraître penser à moi, et elle ne voulait pas se démentir en lui demandant de protéger nos malheureuses amours.

Un matin, j’appris par ma mère que les médecins, mécontens de la langueur obstinée de Hope Butler, avaient conseillé l’air natal, que l’enfant avait saisi ce conseil avec passion, et n’avait pas donné de trêve à son père et à sa sœur que l’on n’eût fait les paquets et chargé les voitures. Au moment où ma mère m’annonçait ce départ, la famille Butler devait être arrivée à Londres.

Je tombai sans connaissance et je demeurai quelques jours comme anéanti ; mais, les forces de la jeunesse et de ma constitution ayant repris le dessus, je recommençai à mener la vie désolée que je menais depuis deux mois, allant et venant sans but comme une âme en peine, et me sentant consumer par une fièvre sans intermittence que j’aurais voulu enflammer davantage pour qu’elle m’emportât. Ma mère voyait bien que je me laissais dépérir, et, malgré son air résigné, elle s’alarmait sérieusement. Elle m’engageait à me distraire et à faire des visites dans nos environs ; mais je ne voulais plus sortir du ravin de La Roche. À toute heure, à tout instant, j’attendais avec opiniâtreté, et pourtant sans espoir, une lettre de Love. C’en était fait, elle ne m’écrivait plus.

Un jour M. Louandre, qui, grâce aux dernières circonstances, était devenu notre ami le plus intime, me prit en particulier dans la chambre d’honneur. — Je ne suis pas content de vous, me dit-il : vous vous tuez ; vous en avez le droit quant à vous, et c’est votre affaire, mais vous n’avez pas le droit de tuer votre mère ; donc vous êtes forcé de ne pas user du droit que vous avez sur vous-même. Sortez si vous pouvez de ce dilemme. Voyons, que prétendez-vous devenir ? La situation telle qu’elle est ne peut se prolonger, à moins que vous ne soyez un mauvais fils. Vous allez me dire pour la vingtième fois que vous attendez l’avenir, et que vous ne voulez pas perdre la dernière lueur d’espérance. Eh bien ! comme cette lueur