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pauvret à lui-même, en le caressant, en le questionnant, j’ai arraché ce mot terrible, prononcé à mon oreille : « Tu m’as trompé ! » Nous l’avons conduit à Allègre, où il s’est reposé et calmé, et ensuite ici, où il a assez bien supporté un nouvel accès de fièvre, mais à quel prix ! Mon ami, j’ai juré que vous ne reviendriez plus ici, qu’il ne vous reverrait jamais, que je ne le quitterais plus d’un pas. Hélas ! hélas ! que de chagrin pour vous, et comme j’en souffre ! Soyez courageux, vous me l’avez promis, et moi, je conserve l’espérance. Hope guéri retrouvera son bon cœur, sa raison et sa docilité ; il arrivera à comprendre que je vous aime, et il me dégagera de ma promesse. Ayons confiance en Dieu. Plaignez-moi, et ne m’accusez pas !

« Love Butler. »
XII.

Les jours et les semaines se traînèrent encore. Je ne vivais plus que des lettres de Love ; j’en avais une soif qu’elles ne pouvaient assouvir, car c’était un peu toujours la même lettre, bonne, sincère et soumise au devoir. Je lui écrivais aussi à l’insu des siens, mais bien rarement, car M. Louandre était le seul qui pût lui remettre mes lettres, et encore n’était-ce pas sans peine, disait-il. Hope avait toujours les yeux sur lui, et il n’entendait rien au métier que je lui faisais faire. J’ai su plus tard que, par un scrupule bien légitime, il n’avait pas remis une seule de ces lettres, car il me les rendit un jour en disant : « Si je vous avais refusé de m’en charger, vous en eussiez chargé quelque autre qui eût fait la sottise de les remettre. Love était bien assez à plaindre, sans que je vinsse lui monter la tête avec l’exubérance de votre passion. »

Je m’étonnais donc de ne pas recevoir de réponse à mes lettres, celles que Love m’écrivait se bornant à résumer en termes toujours clairs et affectueux l’inamovible situation. Plus le temps marchait, plus ces lettres devenaient rares, courtes et dubitatives. Je savais que Hope était sur pied, qu’il montait à cheval avec sa sœur, que la fièvre ne revenait qu’à de longs intervalles, et qu’il avait repris ses études. Plusieurs fois, la nuit, je m’étais introduit dans le parc de Bellevue, et j’avais rôdé autour de la maison ; mais je faisais vainement un appel désespéré à ces heureux hasards qui fourmillent dans les romans, et qui amènent si à propos une insomnie de l’héroïne ou un stratagème ingénieux de l’amant pour se faire entendre et deviner. Jamais je ne vis de lumière aux croisées. Les jalousies et les rideaux étaient strictement fermés, comme dans toute maison aux habitudes régulières et prudentes. Jamais je n’osai lancer un grain de sable ou imiter le cri d’un oiseau. Livrer ma bien-aimée