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l’influence des modificateurs de toute sorte. Nous savons que les maladies sont des modifications, des altérations de la substance, qu’elles ne sont point essentielles, qu’elles ont un siège, et qu’il est indispensable de connaître la relation qui existe entre les symptômes et l’état des organes, pour ramener l’ordre et la santé en usant à propos des modifications convenables, car si les organes sont modifiés de manière à produire la maladie, il les faut modifier de manière à rétablir la santé, et c’est là toute la médecine. En effet on connaît la nature d’une maladie si l’on peut déterminer — quels sont les organes qui souffrent, — comment ils sont devenus souffrans, — ce qu’il faut faire pour qu’ils cessent de souffrir. C’est Broussais qui a dit cela dans son Examen des doctrines médicales et des systèmes de nosologie. Rien n’est plus vrai, et c’est pour nous un devoir de rendre justice à ce grand homme, qu’on ne lit guère aujourd’hui, quoiqu’on trouve dans ses livres trois choses qui manquent dans les meilleurs de notre époque : le génie, les convictions et le style.

Broussais, réformateur indépendant, a repris l’œuvre de Bichat et a consommé l’émancipation de la médecine moderne. Il n’a point eu de successeurs ; mais son influence est toujours présente, et c’est en vain qu’on voudrait méconnaître les services qu’il a rendus. Qu’importent quelques erreurs, si la vérité est au fond de sa doctrine, si la médecine est en effet physiologique, comme il avait raison de le prétendre ? Broussais nous a délivrés de l’ontologie, comme il disait, c’est-à-dire de la métaphysique creuse des anciennes écoles ; il a démontré sans réplique l’absolue nécessité où est l’art médical de s’appuyer sur la science de l’organisation. Il avait compris des premiers, et mieux que personne, que la grande réforme de Bichat était le point de départ d’une ère nouvelle et marquait la fin des théories systématiques qui avaient jusque-là soutenu et agité la médecine. C’est à cause de cela qu’il tenta une appréciation de tous les systèmes et, quel que soit le jugement que l’on porte sur son Examen, on ne peut contester qu’il n’ait donné une forte impulsion à la critique médicale, et que son initiative hardie ne soit d’un bon exemple. Cet exemple n’a guère été suivi. Ce n’est pas seulement le passé qui fait défaut dans l’enseignement médical, mais encore ce qu’il y a de plus essentiel dans le présent. La science de l’organisation, qui fait la gloire et la force de la médecine moderne, n’est pas représentée dans les écoles ou ne l’est qu’imparfaitement ; en elle cependant résident toutes les conditions essentielles de progrès pour l’art médical. Les nouveaux éditeurs du Dictionnaire de médecine ont eu raison de protester contre cette incurie fâcheuse ou plutôt contre ce dédain calculé et coupable, en consignant avec discernement et clarté le résultat des plus récentes recherches sur l’organisation des