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dépassé et de ne pouvoir m’y soumettre. Love cherchait à me donner de l’espérance, mais elle n’en avait pas assez elle-même pour régler quoi que ce soit dans notre avenir. Elle promettait sans effort et sans hésitation de m’aimer, et même de m’écrire, de me tenir au courant, et, quoique tout cela me parût bien calme auprès de ce que j’allais souffrir et subir pour l’amour d’elle, je me sentais encore si heureux de cette affection suave et sainte, que je n’eusse pas changé mon sort contre celui d’aucun autre homme sur la terre.

Je la tenais encore embrassée, quand j’entendis un bruit de feuilles et de branches froissées à deux pas de nous. Je me levai brusquement, et Love me suivit. Junius Black passa tout près de moi sans me voir, et il acheva le tour du cratère sans paraître songer à miss Love.

— Soyez tranquille, me dit-elle ; il n’a qu’une idée, c’est de ramasser des cristaux d’amphibole pour la collection.

Elle regarda sa montre ; elle n’avait plus qu’un quart d’heure pour redescendre la montagne sans causer d’inquiétude à ceux qui l’attendaient. Elle s’arracha de mes bras, en me défendant de la suivre pour l’aider. Il y avait plusieurs endroits découverts à franchir. Elle s’élança comme un chevreuil à travers les genêts, et je suivis des yeux, pendant quelques minutes, sa course rapide, que trahissait le mouvement des flexibles rameaux chargés de fleurs d’or ; puis elle s’enfonça de nouveau sous les hêtres, et je restai seul avec mon amour et ma tristesse.

Je ne la vis pas atteindre le lieu où l’attendait M. Butler. J’avais cherché un endroit favorable pour la regarder d’un peu moins loin sans me montrer ; mais je m’égarai dans des sentiers tracés au hasard par les troupeaux, et il se passa un temps assez long avant que j’en pusse sortir. Quand je me crus dans un bon endroit, je reconnus que j’avais fait presque le tour de la montagne, et que la voiture de M. Butler s’était éloignée en me tournant le dos, emportant avec rapidité ceux qui tenaient ma vie dans leurs mains bienfaisantes ou cruelles.

Je retournai chez moi un peu moins accablé, n’ayant plus qu’une idée fixe, celle de recevoir une lettre de Love. La lettre arriva le lendemain. C’était comme mon arrêt de mort.

« Mon Dieu ! que nous sommes donc malheureux ! disait-elle. Hier, au moment où M. Black a passé près de nous dans le bois, vous vous êtes levé, et moi aussi. J’ai oublié une minute, une seconde peut-être, que d’en bas on pouvait nous voir. Hope nous a vus ; il vous a reconnu. Il est tombé sans connaissance, comme foudroyé, dans les bras de mon père, qui ne savait rien, qui n’a rien deviné ; mais moi, en arrivant auprès d’eux, en faisant revenir le