Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/386

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doit recevoir ici. En philosophie, il s’applique très bien à ceux qui, s’aventurant sans timidité à la recherche des causes, des entités hypothétiques, de l’absolu que poursuit la métaphysique, arrivent finalement au doute et s’abstiennent : cette incertitude péniblement acquise se conçoit. En médecine, il en est autrement : les phénomènes diffèrent et par conséquent la méthode, c’est-à-dire la manière de les voir, de les apprécier, de les expliquer en les coordonnant, de telle sorte que la qualification de sceptiques ne convient ici qu’à des esprits étroits et prétentieux, qui s’arrêtent à la surface, saisissent incomplètement les choses, perdent de vue le lien qui les unit, se perdent eux-mêmes dans des difficultés pour eux insurmontables, et nient hardiment ce qui leur échappe, affirmant dans cette négation absolue leur incapacité et leur insuffisance. On a dit qu’un médecin vraiment pyrrhonien ne s’était jamais vu, et on l’a dit pour avoir confondu les empiriques, qui se soucient peu du dogme, avec les pyrrhoniens, qui s’en moquent sans le connaître. Cabanis n’était pas de cet avis, et, dans le dessein si difficile de convaincre cette sorte d’esprits, il a composé des ouvrages excellens. Les médecins qui ne croient point à la médecine exercent leur art dans des conditions qui ne sont ni logiques ni honnêtes. En médecine comme en morale, des principes sont nécessaires, et les principes ne peuvent venir que des doctrines.

Plus bas encore dans l’échelle des systèmes, nous trouvons les éclectiques. Il n’est ici question que des médecins qui, venus à la suite de certains métaphysiciens, ont prétendu faire un système achevé en prenant dans tous les systèmes ce qu’ils ont de bon. En théorie, la prétention est absurde et la pétition de principe manifeste. Pour reconnaître ce qui est bon, il faut le pouvoir discerner ; une théorie est donc nécessaire, et si l’on n’a point de système de doctrines, comment pourra-t-on juger les autres systèmes et les apprécier en connaissance de cause ? C’est donc à bon droit que les éclectiques sont relégués au dernier rang. Leur apparition a cependant un sens dans l’histoire ; elle annonce la fin des systèmes. Dans l’ordre scientifique, de même que dans l’ordre social, qui dit fin veut dire transition, phase nouvelle, commencement d’une autre ère. La médecine, après avoir subi des vicissitudes nombreuses et diverses, traverse présentement une période de transition ; elle est en voie d’organisation, dans un état provisoire et indécis dont le terme est inconnu, mais qui se manifestera certainement. Dire ce qu’est la médecine contemporaine n’est pas chose facile : au lieu de chercher à la caractériser, entreprise ardue et peut-être vaine, il est plus simple de se demander où elle va. S’il est malaisé de déterminer sa direction précise, on peut du moins observer ses tendances.