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et Bordeu a produit Bichat, qui a donné à la médecine une base solide, et désormais inébranlable, en fondant la biologie. À tout prendre, le beau rôle est échu aux spiritualistes, qui ont rendu à l’art médical, et à la science qui lui sert de base, des services plus réels que les matérialistes. Au point de vue purement scientifique, ceux-ci en effet n’ont presque rien laissé de durable, tandis que les autres ont contribué très efficacement à sauvegarder les lois propres de l’organisme, en les expliquant d’une façon vicieuse, il est vrai, comme celle de leurs adversaires, mais à coup sûr moins compromettante Des deux côtés, il y avait erreur de logique et vice de méthode : non que la science positive condamne absolument les hypothèses, comme moyen d’investigation scientifique ; mais elle n’admet que celles qui peuvent être vérifiées. En conséquence, elle désavoue ceux qui empruntent les abstractions des physiciens et des chimistes, et veulent expliquer les phénomènes de l’organisme vivant par le calorique ou l’électricité, ou par quelque autre fluide impondérable, comme serait par exemple le prétendu fluide nerveux ; elle désavoue de même ceux qui s’obstinent, en dépit de l’évidence et des progrès amenés par le temps, à importer dans l’étude de l’économie animale, à l’état normal ou pathologique, les visions de la théologie ou de la métaphysique, en y ajoutant parfois la prétention singulière de concilier la physiologie avec les dogmes religieux et les doctrines de la philosophie spiritualiste. Aujourd’hui les deux partis, représentés par deux écoles célèbres, sont encore en présence, mais combien affaiblis ! Le terrain manque sous leurs pieds. Vaincus l’un et l’autre, et vaincus sans retour, ils s’éteignent peu à peu, laissant dans l’histoire le souvenir ineffaçable de leurs luttes ardentes et prolongées, qui durèrent trois siècles et plus, de la fin du moyen âge jusqu’à la révolution française, et au-delà.

Deux sectes de médecins dont nous avons déjà parlé, les empiriques et les sceptiques, s’étaient, soit calcul, soit indifférence, tenus en dehors de ce long conflit. Les empiriques étaient généralement des esprits sains, qui s’attachaient à l’expérience, s’appliquaient à suivre la tradition et à la maintenir, en se préoccupant avant tout des choses utiles à la pratique. Cette école, célèbre dès l’antiquité par sa rivalité avec les dogmatiques, négligeait tout ce qu’elle considérait comme des spéculations oiseuses, se bornant à bien observer, à suivre attentivement la production et la marche des phénomènes, notant avec un soin scrupuleux les effets des remèdes, et consignant avec une grande exactitude le fruit de ses observations. Chez les modernes, cette école a eu d’illustres représentans. À leur tête est Sydenham. Ceux qui ne connaissent pas à fond les écrits excellens de ce grand médecin seront peut-être bien aises de savoir