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sont gigantesques, et il faut renoncer à décrire ce chaos. Enfin, sur la face oblique de la pointe de Beuzeval, qui domine l’embouchure de la Dives, la coupe de l’argile brune est presque verticale, et si les débris du dernier éboulement n’étaient pas couverts de gazon, on les croirait tombés de la veille. En suivant le pied de ces mêmes falaises, on assiste pour ainsi dire, tant les marques des mouvemens du terrain sont significatives et quelquefois fraîches, à la démolition que poursuit la mer. Ici les bancs de rochers qui servaient de fondement aux anciens caps s’avancent au loin sur l’estran ; là des blocs erratiques, tombés de sommets écroulés depuis de longs siècles, se sont maintenus par leur masse, leur dureté, la cuirasse visqueuse de plantes marines et de coquillages dont les ont revêtus les flots ; tout près enfin de la falaise, des blocs détachés la veille, peut-être dans l’heure qui vient de finir, annoncent que l’escarpe déchaussée sera bientôt attirée dans l’abîme et déblayée à son tour.

De Trouville à Honfleur, la ligne des falaises est à peine interrompue ; seulement, vers Penne-de-Pie, elle est en retraite sur l’alignement de la côte, et des alluvions étroites se sont amassées au-dessous. Sur presque tout cet espace, on reconnaît, à deux degrés qui marquent la chute du plateau, qu’un grand abaissement s’est produit dans des temps reculés sur la large bande de terrain qui forme la côte actuelle. Les traces de cet événement ne sont nulle part si visibles qu’à la célèbre faille d’Hennequeville, si souvent visitée par les géologues. La face extérieure du terrain, s’affaissant comme s’il s’était fait au-dessous un grand vide, a mis à nu, sur une hauteur verticale d’une centaine de mètres, la formation intérieure du plateau. Ces mouvemens n’ont pu s’opérer sans produire dans le rivage une dislocation qui le dispose aux éboulemens ; aucune partie des falaises n’a probablement plus reculé et plus contribué à l’encombrement du golfe que celle-ci. Sur les sommets des falaises, de longues crevasses parallèles à l’abîme annoncent de tous côtés des masses qui commencent à céder, et les eaux qui suintent à basse mer de leur pied lubrifient intérieurement un sol déjà ébranlé. L’histoire locale n’enregistre point les avalanches de terre et de roches du rivage que nous venons de parcourir ; mais ses témoignages sont superflus après ceux que porte le terrain lui-même. Elle a été plus soigneuse à l’égard des affaissemens survenus près d’Honfleur, à la côte de Grâce, dès longtemps consacrée par les prières adressées au ciel pour les marins absens et les pieux hommages des marins échappés aux tempêtes. En 1538, un tremblement de terre entama profondément le cap, et la moitié de la chapelle de Notre-Dame fut entraînée. En 1615, ce désastre se reproduisit. Le 28 octobre 1757 eut lieu un nouvel affaissement de terrain. Enfin, dans