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se neutraliseraient, et les sables que l’un apporte seraient remportés par l’autre ; mais du moment que la marée monte dans l’embouchure de la Seine beaucoup plus vivement qu’elle n’en descend, elle doit y jeter, dans son ascension, plus de matières terreuses qu’elle n’en entraîne dans sa retraite. Il n’est pas possible de distinguer, dans les alluvions marines qui affluent vers l’embouchure du fleuve, celles qui proviennent de la percussion des lames de fond ; mais on aperçoit plus clairement celles que fournissent, par la rive droite, les falaises du pays de Caux, et, par la rive gauche, les côtes septentrionales de la Basse-Normandie. Une fois entrées dans la Seine, ces alluvions y sont malaxées par les courans opposés qui les saisissent alternativement : elles sont souvent transportées d’un bord à l’autre ; cependant, malgré l’intimité des mélanges qui résultent d’une telle confusion, elles veulent être considérées séparément dans leurs origines.

Il y a onze ans déjà, on essayait dans la Revue[1] de remonter aux sources du courant de galets qui obstrue au nord du cap d’Antifer les atterrages de Fécamp, de Saint-Valery en Caux, de Dieppe, du Tréport et de l’embouchure de la Somme. « La roche crayeuse, disait-on, dont les falaises montrent la coupe, se compose de couches horizontales d’un à deux mètres d’épaisseur, séparées entre elles par des couches de cailloux siliceux. Les fibres de la pierre sont verticales ; leur cohésion dans ce sens est très faible, et elle est encore diminuée par l’interposition des couches de silex. De cette double disposition résulte la tendance du terrain à se fendre en prismes verticaux. Deux fois par jour, la marée vient battre le pied des falaises ; chaque flot qui les heurte emporte quelque parcelle de la roche poreuse qui les constitue, et quand les hautes mers des syzygies se ruent contre elles par les tempêtes de l’ouest au nord, des lames furieuses les sapent à coups pressés ; elles déchaussent l’escarpe, la minent ; bientôt celle-ci surplombe, se détache et s’écroule. On croirait que le talus formé sur ces débris va défendre le pied de la nouvelle muraille ; mais, avec sa nature friable, la marne résiste mal à l’action des flots : elle s’imbibe, se brise, se délaie en molécules impalpables, et la falaise mise à nu est de nouveau attaquée à vif. Les pluies et les gelées aident la mer dans cette œuvre de destruction. Des fentes plus ou moins profondes s’entr’ouvrent dans la partie supérieure du terrain ; les eaux pluviales s’y infiltrent, et soit qu’elles s’y congèlent, soit qu’elles ramollissent et dissolvent les tranches de marne sur lesquelles elles pèsent, l’effet produit est le même, et l’action sourde des eaux intérieures aboutit tout aussi bien que

  1. Voyez l’étude sur les Falaises de Normandie, livraison du 15 juin 1848.