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à peu de distance, et que je n’avais jamais eu la curiosité de gravir.

L’antique volcan s’élève isolé sur un vaste plateau très nu et assez triste. Il est là comme une borne plantée à la limite de l’ancien Vélay et de l’ancienne Auvergne. Du sommet de ce cône tronqué, la vue est admirable et s’étend jusqu’aux Cévennes. Une vaste forêt de hêtres couronne la montagne et descend sur ses flancs, qui se déchirent vers la base. Le cratère est une vaste coupe de verdure, parfaitement ronde et couverte d’un gazon tourbeux où croissent de pâles bouleaux clair-semés. Il y avait là jadis un lac qui, selon quelques antiquaires, était déjà tari au temps de l’occupation romaine, et qui, selon d’autres, a pu servir de théâtre à leurs naumachies. La tradition du pays est plus étrange. Les habitans du Forez se seraient plaints des orages que le lac de Bar attirait et déversait sur leurs terres. Ils seraient venus à main armée le dessécher avec du vif-argent.

Je me laissai tomber sur l’herbe vers le milieu du lac tari. Les bouleaux interceptaient fort peu la vue, et mon regard embrassait l’épaisse et magnifique ceinture de hêtres qui entoure le rebord du cirque avec une régularité que ne surpasseraient guère les soins de l’homme. De là, on pourrait se croire dans le bassin d’une plaine, si l’on ne consultait l’aspect du ciel, qui, au lieu de fuir à l’horizon par une dégradation de tons et de formes, révèle, par l’intensité uniforme du bleu et par le dessin inachevé des nuages, le peu d’espace que la plate-forme boisée occupe.

Le lieu est d’une tristesse mortelle, et je m’y sentis tout à coup saisi par le dégoût de la vie qu’inspirent certains aspects solennels et sauvages de la nature, peut-être aussi l’oppression de ce ciel étroit qui écrase les cimes enfermées par des rebords, et qui semble mesuré à l’espace d’une tombe. Je mis ma tête dans mes mains, et je donnai cours aux sanglots que j’étouffais depuis si longtemps.

Je m’éveillai comme en sursaut en m’entendant appeler par mon nom… La voix de Love dans cette morne solitude, d’un accès sinon difficile, du moins pénible, et où je m’étais dit avec une sorte de sécurité douloureuse : Là du moins les oiseaux du ciel verront seuls ma faiblesse et mes pleurs !… Cela était si invraisemblable que je n’y crus pas d’abord. C’était Love pourtant. Elle accourait vers moi, marchant comme un sylphe sur le gazon mou et ployant du cratère. Elle était animée par la marche et par l’inquiétude ; mais quand elle se fut arrêtée un instant pour respirer en me serrant les mains, elle redevint pâle, et je vis qu’elle aussi avait beaucoup veillé et beaucoup souffert.

— Ne me dites rien ici, répondit-elle à mes questions inquiètes ; venez dans le bois. Je veux vous parler sans qu’on le sache. Mon