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On a prétendu, sous prétexte de pêches faites dès le XIVe siècle dans ces eaux, contester à François Ier la gloire de la fondation du Havre. Personne ne s’est jamais enquis si les arsenaux et les palais par lesquels Pierre le Grand commença Pétersbourg n’auraient pas été devancés sur les bords de la Neva par quelques huttes sauvages. Il n’importe pas davantage d’éclaircir si, avant 1516, de pauvres pêcheurs traînaient ou non une existence ignorée sur la lisière des lagunes que le travail de trois siècles a ensevelies sous les docks florissans du Havre. Une ville maritime n’a de fondateur que celui qui, mettant à découvert les germes latens d’une grandeur à venir, les féconde par la puissance de ses conceptions et par le concours des populations qu’il attire. C’est ce que fit ici François Ier, et s’il était possible, en présence des actes de son règne et des termes précis des édits de huit de ses successeurs[1], de nommer un autre fondateur, il faudrait dire quel établissement pouvait subsister sur une plage qui n’avait pas une goutte d’eau douce pour abreuver ses habitans. Or, quand on voulut réunir des ouvriers pour les travaux du port, il fallut commencer par amener à leur portée l’eau des sources de Vitendal, près Sainte-Adresse. Cette opération fut commencée en 1517 et terminée en 1518, comme le constate une quittance de 3,000 livres donnée pour cet objet, le 31 décembre 1518, par le vice-amiral Duchillon[2], et cette preuve, qui ressort de l’état physique des lieux, peut balancer le dire quelquefois hasardé d’un chroniqueur.

Parmi ces actes souverains, il suffit de citer les édits du 8 octobre 1517 et du 6 septembre 1521. Dans le premier, le roi accorde à la nouvelle ville, qu’il nomme la Françoise-de-Grâce, de nombreux privilèges ; il y appelle la population, et déclare ses habitans exempts de contributions pour dix ans. Par le second, signé sur les lieux mêmes, il déclare que le vice-amiral Duchillon a bien mérité dans l’exécution des projets de Bonnivet, et que, par l’effet de ses travaux, le port est en état de recevoir tous les navires, même les plus forts. Toujours amoureux du grand et du merveilleux, le roi voulut faire porter au loin la renommée de son port par un bâtiment magnifique. « Ce bon seigneur, dit Martin Du Bellay dans une autre occasion, ne pouvoit faire les choses petites. » Il imagina de faire construire dans la fosse de Leure, à laquelle on arrivait par le nouveau chenal, la Grande-Françoise, de vingt-cinq pieds de tirant d’eau.

  1. Henri II, Reims, juillet 1547 ; François II, Blois, novembre 1549 ; Charles IX, Paris, juillet 1566 ; Henri III, Paris, mai 1575 ; Henri IV, Paris, avril 1594 ; Louis XIII, Paris, 20 décembre 1612 ; Louis XIV, Paris, octobre 1643 ; Louis XV, Versailles, janvier 1718.
  2. La pièce originale est aux Archives de France, K, 81, n 32.