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petit nombre d’émigrans français qui ont consenti à s’établir en Algérie, aux portes de la métropole. Aussi trouvera-t-on chez nous beaucoup d’écrivains empressés à signaler les avantages de la colonisation de Madagascar, à prêcher l’extermination des Hovas et l’affranchissement des Sakalaves, à discuter, même sans trop connaître le chemin, les étapes qui doivent, par une série de marches victorieuses, nous mener dans Atanarive, mais peu d’hommes disposés à suivre cette impulsion.

L’Angleterre est beaucoup moins bruyante, et cependant plus redoutable. Ce qu’elle veut à Madagascar, la relation du révérend Ellis nous l’indique suffisamment, c’est acquérir de l’influence sur l’esprit du souverain et s’en rendre maître, exercer une action analogue à celle des Américains aux îles Sandwich, en un mot établir l’ordre de choses que traduit ce mot protectorat, dont le prince royal cherchait à se faire expliquer le sens. Si les intérêts du commerce de l’Angleterre étaient le seul point à envisager dans cette question, on pourrait faire des vœux pour la réussite de cette politique ; mais il faut aussi voir de quel profit elle serait à la race indigène. On lui portera le christianisme, des lois plus judicieuses, nos modernes inventions, et Atanarive, initiée, comme Honolulu, aux avantages d’un régime libéral, aura ses journaux et ses assemblées délibérantes. Par malheur, l’exemple des Sandwich démontre qu’au milieu de ces innovations le sauvage dépérit au lieu de s’élever à notre niveau, et la raison en est fort simple : il y a dans la vie des nations aussi bien que dans celle des hommes des périodes de transition qu’on ne peut supprimer, et, pas plus qu’un individu, un peuple ne saurait passer subitement de l’état d’enfance à celui de virilité ; les institutions libérales sont donc prématurées pour le sauvage, qui n’en est encore qu’aux rudimens de la vie sociale. Les étrangers lui apporteront les complications de leurs querelles et de leurs intrigues. Sous prétexte de l’instruire et de le protéger, ils en feront l’instrument de leurs intérêts et de leurs passions. Ce n’est jamais à son profit que nos inventions, transportées chez lui, fonctionnent, et, quelles que soient son intelligence et sa bonne volonté, il est jeté sans armes, en face des nations de l’Europe et de l’Amérique, dans les bruyantes mêlées du commerce et de l’industrie.

Telles sont les circonstances qui ont fatalement frappé de mort les indigènes de l’Océanie. Là même, comme par dérision de la justice, des traités ont consacré la spoliation. Les settlers et les squatters sont venus, des actes de vente à la main, chasser, comme des bêtes malfaisantes, de la terre qu’ils tenaient en héritage de leurs ancêtres, ceux des sauvages qui avaient pu survivre aux maladies, à l’abus des liqueurs, au brusque changement d’existence et de milieu.