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J’affectai dès lors une confiance et une patience que je n’avais pas. J’ignore si ma mère s’y trompa. Elle joua peut-être le même rôle que moi en me cachant ses anxiétés et ses désespérances.

XI.

Je comptais les heures du jour et de la nuit avec une impatience découragée. J’allais à la chasse et je ne voyais pas seulement lever le gibier. J’inventais des buts de promenade où je ne me rendais pas, des affaires dont je n’avais nul souci. Je ne pouvais rester en place. Je fuyais mes amis et mes connaissances. Leurs questions me mettaient au supplice. Pourtant tout le monde savait déjà la vérité. Love n’en avait pas fait mystère. Loyale et brave, elle avait dit aux personnes qui venaient s’informer de l’état de son père et de son frère, et qui lui laissaient voir leur curiosité sur mon compte, qu’elle m’avait donné sa parole, mais qu’elle ne savait plus quand elle pourrait la tenir. Et elle racontait ingénument l’opposition bizarre et maladive de Hope à tout projet de ce genre. Elle parlait de moi avec une vive reconnaissance, une grande sympathie, une franchise qui paralysait la raillerie et confondait la malveillance. Elle avait mille fois raison, et rien ne lui semblait plus facile que de dire ce qu’elle pensait, puisque la vérité était la chose la plus honnête et la plus droite qu’elle eût pu inventer.

Tout cela m’était rapporté par M. Louandre et par M. Rogers, le médecin anglais que la famille Butler avait mandé de Paris, et qui m’avait pris en amitié. Il m’écrivait de temps en temps, mais il me rassurait sur les sentimens de ma fiancée sans me rassurer sur la santé de son frère, et M. Louandre me disait au contraire que la maladie de l’enfant était légère, tandis que la faiblesse de sa sœur pour lui était une chose grave.

Je ne savais donc plus que penser. Love ne m’écrivait plus. Deux semaines s’étaient écoulées sans que l’on pût couper les accès de fièvre de Hope, et sans qu’il eût été possible de rien tenter pour le faire revenir de sa fantaisie. M. Louandre résumait ainsi la situation : — Certes elle vous aime, même beaucoup. Elle est charmante quand elle parle de vous ; mais elle dit trop tranquillement tout le bien qu’elle en pense. Votre nom ne la fait pas rougir. Elle a une manière de vous aimer qui fera votre bonheur, si vous l’épousez, mais qui ne vaincra pas les obstacles à votre mariage, s’il s’en présente de sérieux. Ne l’aimez donc pas si follement ; apaisez-vous !

— Ah ! taisez-vous, lui répondais-je avec amertume ; je ne pense que trop comme vous ! Elle aime trop sa famille pour aimer un nouveau-venu. Elle est adorable, mais elle n’a pas d’amour pour moi.