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50 mètres, et en faisant comprendre qu’il ne faudrait pas plus de temps pour causer d’un bout de l’île à l’autre.

C’était sous l’influence de telles impressions que le voyageur faisait ses préparatifs de départ avec la certitude d’être partout le bienvenu. Il allait quitter Tamatave, lorsque des officiers arrivèrent de la capitale, chargés par Ranavalo de rendre les plus grands honneurs funèbres à M. de Lastelle, notre compatriote, qui venait de mourir. Il y avait vingt-sept ans que ce Français, alors capitaine de la marine marchande de Saint-Malo, s’était fixé à Madagascar, où il avait remplacé un autre de nos compatriotes, M. Arnoux, dans la direction d’une sucrerie établie sur la côte, à Mahéla. Au milieu des vicissitudes du règne de Ranavalo et des persécutions imposées aux étrangers, M. de Lastelle avait dû à son activité et à ses services de se concilier la faveur de la terrible souveraine ; il avait entrepris, de concert avec elle, d’introduire en grand la culture de la canne, et les frais d’établissement, qui s’étaient élevés à plus de 10 millions, avaient été compensés par de sérieux profits. En 1838, on l’avait vu venir échanger à Marseille une cargaison des produits de l’île contre des articles de notre commerce, et il avait entrepris de faire cultiver dans ses plantations nos fruits et nos céréales. Ce Français, qui avait rendu de vrais services à Madagascar et à notre commerce, venait de mourir subitement à la suite d’une trop forte ingestion de chloroforme. La faveur de la reine prétendait le suivre au-delà du tombeau, et des ordres avaient été donnés pour qu’on lui rendît les honneurs dus aux premiers sujets malgaches. En conséquence, la veuve du défunt, fille de l’un des anciens chefs héréditaires des Betsimasarakas, accompagnée de tous ses parens en habits unis et grossiers, signe de leur deuil, — les fonctionnaires de Tamatave et les délégués de la reine, ceux-là revêtus de leurs lambas, ceux-ci en uniformes bleus, avec épaulettes et galons d’or, se rassemblèrent dans la maison du chef-juge, rendez-vous habituel pour les grandes cérémonies. Plusieurs éloges funèbres furent prononcés ; dans celui de l’orateur envoyé par la reine, on remarquait cette apostrophe, suggérée par les mérites et la haute valeur du défunt : « La souveraine aurait donné 2,000 dollars ; que dis-je ? 3,000 dollars ; que dis-je ? 5,000 dollars, pour racheter la vie de ce bon serviteur ! » Ensuite des coups de canon et de fusil furent tirés, puis on égorgea six bœufs, on défonça des tonneaux d’arak, et la cérémonie se termina par une orgie du bas peuple et des esclaves, tandis qu’un grand dîner réunissait les résidens anglais, français, allemands, au nombre d’une douzaine, aux fonctionnaires de Tamatave et aux officiers royaux.

La cérémonie funèbre achevée, M. Ellis se mit en route, escorté