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heures et demie, les convives commencèrent à se présenter dans leurs palanquins au lieu désigné ; une double file de soldats, une pièce d’étoffe blanche suspendue aux reins, une écharpe de même couleur sur leurs épaules nues, armés les uns de fusils, les autres d’épées, rendaient les honneurs militaires ; le chef-juge, à l’entrée de la salle, recevait les convives, et une musique de fifres et de tambours jouait les airs nationaux de Madagascar. Les dignitaires et les officiers étaient en costumes militaires, on ne saurait dire en uniformes, car la plus grande diversité régnait dans leurs vêtemens, dont certaines parties semblaient empruntées aux milices américaines, aux gardes nationales françaises, aux soldats anglais. L’écarlate prévalait, et les épaulettes d’or ainsi que les plumes au chapeau semblaient de rigueur. Tous, ils eussent été beaucoup mieux recouverts de larges pièces d’étoffe et de lambas. De même les femmes portaient avec une gêne visible quelques oripeaux, débris attardés des modes européennes. Le repas aussi était une imitation européenne ; une seule trace d’originalité consistait dans le service du jaka. Une grande table était dressée avec nappe, assiettes, couverts, et le nom des convives inscrit sur un morceau de papier à la place de chacun d’eux. Le missionnaire eut l’honneur de s’asseoir auprès de la maîtresse de la maison, en face de deux officiers, dont l’un parlait l’anglais et l’autre le français assez intelligiblement. On servit un potage, des viandes, des volailles, comme on eût pu le faire à Bourbon ou à Maurice. Seulement le milieu de la table était occupé par un grand plat dans lequel était disposé le jaka. On appelle ainsi un morceau de bœuf conservé depuis la fête précédente, c’est-à-dire depuis un an, et coupé en petits morceaux. Manger ensemble le jaka, c’est faire alliance et amitié pour l’année entière. Ce bœuf, raccorni et desséché, avait un aspect noirâtre. Dès que chacun eut pris place, le président du festin se leva, prononça un speech en l’honneur de la souveraine, saisit délicatement avec deux doigts un morceau du mets national, et fît circuler le plat. Chacun l’imita, et on se mit à manger en silence et avec recueillement. Ensuite le repas suivit son cours avec beaucoup d’animation et de vivacité. Il touchait à sa fin, lorsqu’entrèrent deux esclaves qui s’assirent aux pieds de la maîtresse de la maison et se mirent à préparer le café. Puis on passa dans une pièce voisine, tapissée de papier français représentant les victoires de Napoléon ; un nouveau speech fut prononcé au nom de la reine, après quoi on but des liqueurs à sa santé dans des verres à patte. Le concert de tambours et de clarinettes recommença. Enfin, vers les neuf heures, chacun remonta dans son palanquin.

En retour de tant de bons procédés, le missionnaire laissait sa