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à la fin de l’hiver, en septembre. On y voit tous les produits, depuis les machines anglaises jusqu’aux ouvrages délicats en fibres et en feuilles de cocotier qui sortent des mains des Japonais, des Cochinchinois et des insulaires de l’Océanie ; mais le principal objet du commerce de Maurice, celui qui en fait la richesse, c’est le sucre : cette petite île n’en exporte pas moins de 220 millions de livres par an ; c’est la cargaison de trois cents bâtimens de 500 tonneaux.

Les quartiers malabar, chinois et créole ont une physionomie tout à fait différente de la ville principale. Les maisons et les boutiques y sont généralement de bois ; les vastes magasins y sont remplacés par des échoppes où se vendent au détail toute sorte de marchandises. Les coolies sont en possession d’un grand nombre d’industries ; cependant les Chinois commencent à leur faire concurrence, et ils ont pris déjà le monopole de l’ébénisterie. Le marchand chinois est bien plus actif, bien plus empressé que le marchand malabar : celui-ci se tient indolemment assis, les jambes croisées, au milieu de sa boutique ; autour de lui, les marchandises s’amoncellent en pyramides, et pour servir ses chalands, la plupart du temps il n’a qu’à saisir, sans se lever, les objets à portée de sa main. Il n’est pas absolument rare de voir un de ces indolens vendeurs répondre à la demande d’un article : « Là-haut, dans cette pile ; mais il fait trop chaud pour l’y aller prendre. » Les tailleurs et les cordonniers coolies travaillent accroupis et se servent de leurs orteils pour tenir l’étoffe ou le cuir avec une étonnante dextérité. Tous les hommes de cette race travaillent assis ou couchés ; il n’y a pas jusqu’aux scieurs de pierre qui ne fassent leur besogne accroupis, et il semble que les membres longs et flexibles de ces Indiens, si différens des membres musculeux des créoles, aient sans cesse besoin d’être repliés. Toutes les fois que les marchandises d’une boutique ne craignent pas l’air, on est certain de voir le Malabar s’installer à sa porte au milieu de ses paquets. De même beaucoup d’autres s’en vont par les rues exercer des industries nomades : le barbier, muni de son rasoir, de ses ciseaux et d’un petit miroir, s’établit à l’ombre d’un mur ou sous une natte, si le soleil est vertical, et rase ou coupe au milieu du cercle de ses cliens.

Sur les quais, dans les gares, aux portes des magasins, on retrouve encore les coolies et les Chinois en concurrence ; ils débarquent et rangent les marchandises. Les premiers, qui ne vont guère que par bandes, font entendre en travaillant un chant bas et monotone ; les autres, plus robustes, n’interrompent jamais leur travail, même sous le plus ardent soleil ; ils vont et viennent sans bruit, n’échangeant que de loin en loin entre eux un cri rauque et guttural.