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— Il ne vous a pas parlé de moi ?

— Non ! Que s’est-il donc passé entre vous ?

— Rien, sinon qu’il me témoigne de la froideur, et que je crois deviner en lui de l’aversion. C’est à vous de tâcher de savoir ce en quoi j’ai pu lui déplaire, afin que je m’en corrige ou m’en abstienne. Je sens bien que vous l’aimez ardemment, et qu’il faut que je sois aimé de lui ! N’est-ce pas, il le faut ?

— Oui, certes, il le faut absolument ! Revenez bientôt, je l’aurai confessé, et je vous dirai tout.

Je partis avec M. Louandre.

— Je ne suis pas si tranquille que vous, me dit le notaire à plusieurs reprises, en cheminant à mes côtés.

Hélas ! je n’étais pas tranquille du tout.

Le lendemain, je reçus la lettre suivante :

« Ne revenez ni demain ni après-demain. Il faut auparavant que j’aie raison des idées de ce cher et cruel enfant. Imaginez-vous qu’il n’a rien contre vous ; il vous estime et vous aimerait peut-être, si vous ne songiez pas à m’épouser. Voilà ce qu’il dit, et il n’écoute rien de ce que je lui réponds. Il est absorbé, pâle, sans appétit, et, je le crains, sans sommeil. Enfin il est jaloux de moi, voilà ce que je suis obligée de constater. Il ne veut pas que je me marie. Ne vous inquiétez pas trop de cela ; il est si jeune, et d’ailleurs si bon et si raisonnable ! Laissez passer quelques jours. Quand il sera bien portant, je le persuaderai, j’en réponds : il m’a toujours cédé après un peu de résistance, et ce n’est pas à dix ou onze ans que l’on a une volonté inébranlable. Mon père s’est levé aujourd’hui. Déjà il pense à travailler. Je l’en empêche. Présentez mes tendres respects à madame votre mère, et plaignez-moi un peu du chagrin que je vous cause.

« Love Butler. »

Je passai une journée terrible. Les plus sinistres pressentimens m’assiégeaient : il me semblait que je ne devais plus revoir Love, que tout était fini entre nous.

Peu à peu je me calmai, sa lettre était si bonne, si confiante ! Je la montrai à ma mère, qui me rassura. — Une personne si juste et si loyale, me dit-elle, ne cédera pas à l’injustice d’un enfant, et l’injustice d’un enfant est un caprice qui passe. Faites ce qu’elle vous dit : n’allez chez elle ni demain ni après-demain ; le jour suivant, nous irons ensemble. M. Butler n’ayant pu me rendre votre visite, sa maladie m’autorise à lui faire la mienne.

— Non, lui répondis-je, c’est bien assez que vous soyez compromise en ma personne. Je crains cet enfant, qui n’est pas un enfant comme les autres.