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poignets rabattus, recouverte d’un large lamba de soie composé de bandes écarlate, rouge œillet et jaune, avec des franges également diversifiées. Il n’avait pas de chaussures, et portait une casquette bleue avec une visière à filet d’argent et à lacet d’or. Deux de ses gens étaient armés, l’un d’un grand sabre de cavalerie, l’autre d’une lame étroite et courte. Ce personnage était. Rainibehevitra, ce qui veut dire le père des grandes pensées, chef-juge de Tamatave, douzième honneur et le second en dignité dans la ville. Il tendit amicalement la main aux étrangers, excusa le gouverneur de n’avoir pu venir en personne, s’assit et prit part à la conversation, tandis que ses gens se groupaient respectueusement à l’écart, à l’exception cependant de l’un d’entre eux que les devoirs de sa charge retenaient auprès du maître, et qui remplissait un assez singulier office. On s’était remis à parler chemins de fer, marine à vapeur, télégraphie électrique, car l’esprit de ces insulaires est fort curieux et beaucoup plus ouvert que nous ne sommes portés à le croire, quand, sur un signe presque imperceptible du père des grandes pensées, le serviteur allongea avec dextérité un petit bambou long d’un pied, large d’un pouce, bien poli et orné d’anneaux, après en avoir préalablement détaché un couvercle retenu à l’une des extrémités par des fils de soie. Le chef-juge prit le cylindre, versa dans la paume de sa main une petite quantité d’une poudre jaunâtre, et, par un geste rapide, la fit passer sur sa langue sans toucher ses lèvres. C’était un mélange de tabac, de sel et de cendres d’herbes, qui est en grande faveur auprès des gens de toutes conditions. On ne fume pas à Madagascar, mais il n’y a pas un dignitaire qui n’ait dans son cortège un serviteur chargé de lui présenter ce mélange, et les pauvres gens, les plus misérablement vêtus, portent suspendu sur leur poitrine le précieux bambou.

Nos missionnaires furent autorisés à descendre chaque jour à terre, à la condition de retourner le soir à bord, et ils profitèrent de la permission pour visiter en détail Tamatave, dont, outre leurs amis indigènes, deux Français fixés en cet endroit, MM. Provint et de Lastelle, se plurent à leur faire les honneurs. La ville, qui compte environ trois mille âmes, a un aspect assez chétif ; les demeures, à l’exception de celles des dignitaires et de quelques résidens étrangers, sont généralement misérables. La plupart des habitans appartiennent, ainsi que ceux de ce littoral, à la tribu betsimasaraka, race robuste et laborieuse, qui fournit en grand nombre des artisans et des laboureurs. Ils sont dominés par les Hovas, qui, débordant des montagnes de l’intérieur vers le commencement de ce siècle, se sont répandus en conquérans sur les rivages. Ceux-ci déploient beaucoup d’activité, d’énergie, et exercent une autorité despotique. Ils ne répugnent pas