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qui se partageaient l’île ; puis il avait conclu avec l’Angleterre un traité par lequel il abolissait la traite, et admettait les missionnaires à la condition qu’on lui servirait une subvention annuelle en armes et en munitions. L’Angleterre exerçait ainsi un véritable protectorat et semblait près d’hériter de l’ancienne influence française ; mais de grands changemens n’avaient pas tardé à survenir : Radama était mort en 1828, et c’était une de ses onze femmes, la reine Ranavalo, qui s’était saisie du pouvoir à la suite d’une révolution de palais. Cette espèce de Catherine II malgache avait déployé une énergie remarquable, comprimant les insurrections, étendant les conquêtes de son prédécesseur, fermant son île. En 1835, elle chassa les missionnaires anglicans et persécuta les chrétiens ; en 1843, elle expulsa tous les étrangers qui ne voulurent pas se reconnaître sujets malgaches. La France et l’Angleterre crurent devoir intervenir : on sait quelle fut la triste issue de l’expédition de Tamatave. À partir de ce moment, la reine adopta un système d’isolement complet, au grand détriment du commerce de Bourbon et de Maurice, qui s’approvisionnait à Madagascar de riz et de bétail. Tel était l’état des choses en 1853, lorsque les deux missionnaires tentèrent de pénétrer jusqu’à la résidence royale. Ils se proposaient d’obtenir la remise en vigueur des traités de commerce, de demander l’ouverture d’un port et de régler quelques intérêts religieux. Ils étaient encore chargés, a-t-on dit, de prémunir la reine contre les craintes d’une agression française ; mais la relation du révérend Ellis ne permet pas de juger de l’exactitude de cette assertion. Ils prirent passage sur un des petits bâtimens de 60 à 80 tonneaux qui font le service de l’archipel africain, et après une assez rude traversée, car la mer conserve jusqu’à la hauteur du canal de Mozambique les grosses lames du cap des Tempêtes, ils se trouvèrent en vue de Tamatave.

La ville, entourée de falaises et de montagnes, est bâtie dans une dépression du terrain. Ses maisons de bois et de chaume se détachent du fond sombre et triste des hauteurs voisines au milieu de bouquets verdoyans de cocotiers, de pandanus et d’autres arbres d’essence tropicale. Non loin d’une vaste bâtisse qui sert de douane et au pied du fort qui protège le mouillage étaient dressées treize longues perches, à l’extrémité desquelles se balançaient des crânes humains ; c’était un souvenir du débarquement anglo-français de 1845.

À peine le petit bâtiment avait-il franchi la ligne de récifs qui protège la rade contre la haute mer et pris place au mouillage, qu’un canot se détacha de la côte ; il était monté par quelques hommes vêtus de grandes tuniques blanches maintenues à la ceinture par une écharpe. Le lamba, sorte de manteau indigène, retombait en