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exclusive et fermée, défie la conquête européenne ; ses habitans, et faut-il les en blâmer ? ont réussi à écarter les envahisseurs. En cela même consiste l’originalité du spectacle que nous présente la grande île : ailleurs nous avons entendu les bruits de la civilisation débordant comme une marée montante, nous avons vu le malheureux sauvage se débattre entre le fusil du squatter et la Bible du missionnaire, presque autant épouvanté des austérités prêchées par celui-ci que des coups portés par celui-là. Ici au contraire nous sommes en présence d’une société grossière, peu cultivée, parfois cruelle, mais originale, personnelle, n’ayant presque rien emprunté à l’Europe, pleine de méfiance à son égard. Si le sang coule, c’est entre Hovas et Sakalaves, sans que les blancs aient été mis en tiers dans la querelle, et il est presque aussi difficile de pénétrer dans Atanarive, la capitale de la reine Ranavalo, que d’arriver jusqu’à Yédo ou à Pékin.

Visiter Atanarive était le but que se proposait le révérend William Ellis, et pour l’atteindre il a fallu, de 1853 à 1856, que le persévérant voyageur s’y reprît à trois fois. Ce missionnaire, qui a longtemps évangélisé la Polynésie, y a laissé, et particulièrement aux Sandwich, de vifs et bons souvenirs. Était-ce seulement le soin d’intérêts religieux et commerciaux qui cette fois le guidaient et lui faisaient rechercher avec tant d’insistance son admission à la cour hova ? Il semble permis d’en douter ; mais, alors même que le missionnaire voyageur n’aurait pas cru devoir mettre le public dans la confidence complète des négociations qui pouvaient lui être confiées, sa relation telle qu’il nous l’a donnée n’en est pas moins très intéressante : elle nous transporte au cœur de l’île, offrant à la fois un spectacle curieux et un nouveau sujet d’étude sur des races assez différentes de celles que nous avons vues jusqu’ici ; elle nous permet de nous arrêter encore au grand problème de l’avenir et de la destinée des peuples sauvages ; enfin elle nous fournit, au milieu des détails de la narration, d’utiles élémens pour rechercher quelle part d’influence peut être réservée sur cette terre hostile à la France et à l’Angleterre.


I

M. William Ellis quitta l’Angleterre en avril 1853. Au cap de Bonne-Espérance, il s’adjoignit un compagnon de voyage, M. Caméron, missionnaire comme lui, auquel un long séjour dans l’île avait rendu la langue malgache familière, et tous deux débarquèrent, au mois de juin suivant, à Port-Louis, capitale de Maurice. Voici quel était à ce moment l’état de Madagascar. Vers 1816, le chef hova Radama avait réussi à dominer la plupart des tribus indépendantes