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roman, que par le menu il m’avait bien fallu lui confier. — Où allez-vous ? me dit-il. Venez donc ! elle parle de vous ! elle veut vous demander si M. Jean doit revenir bientôt de ses voyages. Elle me l’a demandé, à moi ; mais, ne sachant pas ce que vous voulez qu’on dise là-dessus, j’ai répondu que je n’en savais rien. J’ai dit pourtant que je le connaissais, ce pauvre M. de La Roche, que je m’étais souvent promené avec lui, et que j’avais entendu dire qu’il avait eu depuis des peines d’amour pour une demoiselle trop fière qui ne l’aimait pas. Enfin j’ai parlé, je crois, comme il fallait parler.

— Et qu’a-t-elle dit de cela, elle ?

— Elle m’a demandé si je savais ou si vous saviez le nom de cette demoiselle ; à quoi j’ai dit non, et elle a paru tranquille.

— Eh bien ! puisqu’elle est tranquille, laissons-la dans sa tranquillité ! Ne répondez plus à aucune question, ne songez plus à me servir. Je m’en vais, je retourne chez vous, et demain je pars.

— Non pas, non pas ! s’écria François en me retenant ; elle parle très vivement de vous avec son frère. Je ne comprends pas ce qu’ils se disent, mais j’entends votre nom à tout moment. Ils ont l’air de se disputer. Il faut au moins que vous sachiez ce qu’ils pensent de vous. Revenez, revenez vite, car, si vous partiez comme ça fâché, elle pourrait bien se douter que c’est vous qui étiez là, et le père pourrait bien à son tour se fâcher contre moi. Souvenez-vous que vous m’avez juré que dans toute affaire je ne serais pas compromis, et que ça me ferait grand tort dans mon état de guide, si on savait que je me suis mêlé d’histoires d’amour.

François avait raison, et d’ailleurs ma fierté se révoltait à l’idée que l’on pouvait me deviner après m’avoir dédaigné si ouvertement. Je revins après avoir cueilli des fruits de myrtile, que M. Butler aimait beaucoup, et il me remercia en disant : Cet excellent garçon pense à tout ! Vraiment, on voudrait l’avoir à son service ! Jacques, quand vous voudrez travailler chez moi, je ne demeure pas très loin de votre endroit, vous n’avez qu’à venir ; vous serez bien reçu !

— Oui, oui ! ajouta Love ; qu’il vienne, et qu’il amène sa femme ! J’ai grande envie de la connaître.

Je m’imaginai qu’en disant cela, elle avait une intention malicieuse et qu’elle m’avait reconnu, car il y avait sur ses lèvres je ne sais quel mystérieux sourire qui me fit trembler de la tête aux pieds. Je regardai Hope : il ne prenait pas garde à moi, et il avait l’air de bouder sa sœur, qui, peu d’instans après, lui fit des caresses, et réussit à l’égayer sans paraître songer à me questionner sur le retour prochain ou possible de Jean de La Roche.

George Sand.3


(La quatrième partie au prochain n°.)