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chaises et loueurs de chevaux, n’était pas encore réorganisé. La saison des bains, qui est aussi celle des touristes, ne commence au plus tôt qu’au 15 juin, quand le temps est beau : nous n’étions qu’au 1er, et le temps était affreux. Durant les dix mois de l’année où les pauvres montagnards de cette région ne vivent pas de la dépense des étrangers, ils exercent une industrie ou une profession quelconque. Aussi chacun était-il encore à son travail, les uns à la scierie de planches de sapin, les autres aux réparations des chemins et sentiers emportés chaque hiver par la fonte des neiges, d’autres encore au commerce des fromages, à la cueillette du lichen sur le Puy-du-Capucin, ou à l’extraction des pierres d’alun de la carrière du Sancy. François eut donc peu de jaloux à écarter, bien que les Butler, étant absolument les seuls étrangers débarqués dans le village, devinssent nécessairement le point de mire des prétentions rivales.

Mon plan improvisé réussissait donc comme réussissent presque toujours les entreprises que l’on ne discute pas. François critiqua seulement mon costume, qui lui parut beaucoup trop neuf pour être porté dans la semaine. Il me prêta une casquette bordée de loutre et une camisole de laine rayée avec un gilet de velours sans manches. Il me fit ôter mes bretelles et les remplaça par une ceinture rouge roulée en corde. Il retailla lui-même ma barbe et mes cheveux à sa guise. J’étais bien pour le moins aussi hâlé que lui, et il fut obligé de me déclarer irréprochable. Cette nouvelle toilette me donnait l’avantage de n’être pas reconnu aisément pour l’homme qui avait repoussé le taureau sur la route de Saint-Nectaire. Aussi, quand je parus devant la famille Butler, ni elle ni ses gens ne songèrent à me remarquer.

Il avait plu toute la veille, les chemins bas étaient inondés, et l’on avait demandé des chevaux ; mais quand on eut gagné le pied de la montagne, on les renvoya : M. Butler aimait mieux marcher, et ses enfans voulaient faire comme lui. On avait pris trois guides : le beau-père de François, qui escortait M. Butler ; François, qui suivait Love, et moi, qui avais choisi Hope, n’osant encore me placer si près de sa sœur. Chacun de nous portait une sacoche destinée aux plantes et aux minéraux, un marteau pour les briser, une bêche de botaniste, des vivres pour la collation, plus les manteaux imperméables, les chaussures de rechange, et divers autres ustensiles ou vêtemens de promenade.

Je n’avais pas eu besoin des leçons de François pour comprendre en quoi consistait le devoir d’un guide modèle. Marcher toujours devant, en regardant tous les trois pas si l’on doit ralentir ou accélérer son train, choisir le meilleur du terrain, écarter les pierres