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courantes a entraîné les autres matières environnantes qui n’avaient pas la même compacité, et le dyke, soit cône, soit tour, soit masse carrée ou anguleuse, est resté debout, gagnant en profondeur de siècle en siècle, à mesure que l’érosion dépouillait sa base. C’est ce qui fait dire avec raison aux paysans de ces localités que les grosses pierres poussent toujours. On ne sait pas ce qu’il faudrait de siècles encore pour mettre à découvert les racines incommensurables de ces étranges édifices, déjà si imposans et encore si intacts, des convulsions de l’ancien monde.

Je me souvenais d’avoir remarqué celui-ci et d’en avoir parlé autrefois à M. Butler. Qui sait si, pour la première fois, il ne venait pas l’examiner ? J’avais vanté à Love le site sauvage où il se trouve, la légère arche du pont rustique qui le touche, les flots impétueux et limpides du torrent qui le ronge, et sur les bords duquel se dressent d’autres dykes moins élevés, mais de la même forme et de la même apparence fragile, avec des cheminées volcaniques tordues en spirale, de gros bouillonnemens noirs et luisans comme du fer liquéfié et figé dans la fournaise, des bouches béantes s’ouvrant de tous côtés dans le roc, et une couleur tantôt noire comme la houille, tantôt rouge semée de points blancs, comme une braise encore ardente où l’on croirait voir voltiger la cendre, si le toucher ne vous prouvait pas qu’elle est adhérente et vitrifiée.

L’idée que je devais trouver Love au pied de ce dyke s’empara tellement de moi que je dévorai le chemin pour l’atteindre. Je regardais la trace des roues sur la pouzzolane, et au milieu des larges raies molles laissées par les petits chariots du pays, je voyais distinctement des coupures plus étroites et plus profondes qui ne pouvaient être que les empreintes d’une berline également chargée. Enfin, au-dessus des arbres épais qui laissent à peine apercevoir le beau torrent de la Couze, et au-dessus des maisonnettes du village de la Verdière semées sur les inégalités du sol, j’aperçus la tête rougeâtre du dyke semblable à un gigantesque tronc d’arbre que la foudre aurait frappé et déchiqueté ; mais il n’y avait pas là de voiture arrêtée, et les traces se perdaient dans le sable noir battu par les piétons et les animaux.

Je n’osais plus faire de questions dans la crainte d’inspirer de la méfiance aux habitans et d’être signalé par eux à l’attention de la famille Butler, si elle venait à se trouver dans les environs. Je cheminais avec mon petit paquet passé dans un bâton, voulant avoir l’air d’un paysan en tournée d’affaires et non d’un voyageur quelconque en situation de flânerie suspecte. Je descendis au bord de l’eau comme pour me rafraîchir, et je regardai furtivement sous les mystérieux ombrages où la rivière se précipite tout entière d’un