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et un domestique. Ils allaient fort lentement, comme on peut aller dans un pays où l’on ne compte pas par lieues, mais par heures de marche. Ils s’arrêtaient dix fois par étape pour examiner, disait-on, les cailloux ou les mouches du pays. Je pris une nuit de repos à Issoire, et le lendemain je partis pour Saint-Nectaire.

J’étais toujours à pied, guignant tous les passans. J’avisai un colporteur qui se reposait sous un arbre, dans un endroit désert. Je me souvenais que ces gens vendaient quelquefois des vêtemens tout faits aux gens du peuple. Celui-ci n’en avait pas, mais il me désigna un hameau voisin où un de ses confrères était en train d’en proposer aux habitans. Je m’y rendis aussitôt. Je trouvai l’homme, et j’achetai un pantalon de velours de coton et une blouse de toile bleue. Un peu plus loin, je me procurai une grosse chemise. Mon chapeau de paille était convenablement usé et déformé. Je remis dans mon sac de voyage les vêtemens du touriste ; je me chaussai, jambes nues, dans de gros souliers de paysan. Je coupai ma barbe avec des ciseaux, de manière à lui laisser l’aspect d’une barbe de huit jours. Je pris seulement sur moi les papiers nécessaires et l’argent dont M. Louandre m’avait muni. Je cachai le sac dans un mouchoir à carreaux noué aux quatre coins, et je sortis du bois où j’avais fait ma toilette et où je m’étais à dessein roulé sur la terre, frotté aux arbres et déchiré aux épines, dans un état de transformation très satisfaisant. Dès lors je m’avançai hardiment sur la route, et je pris mon repas dans un cabaret, à Champeix, après quoi je franchis d’un pied léger la sauvage gorge granitique qui serpente avec la Couze en se dirigeant vers Saint-Nectaire.

J’avais déjà fait cette route plusieurs fois, et je la savais peu praticable aux voitures ; mais j’eus une inspiration qui me guida. Je me souvins qu’il y avait là, après les granités, une curiosité naturelle peu connue et qui n’étonne nullement les habitans de cette âpre région volcanique, mais qui avait pu tenter M. Butler, s’il ne l’avait pas encore vue : c’est une scorie de quelque cent pieds de haut, dressée au bord du torrent, et si mince, si poreuse, d’aspect si fragile, qu’elle semble prête à tomber en poussière. Elle est pourtant là depuis des siècles dont l’homme ne sait pas le chiffre, et quand on touche les fines aspérités de ce géant de charbon et de cendres, on s’aperçoit qu’il a une résistance et une dureté presque métalliques.

Ces sortes de scories gigantesques sont ce que les géologues, appellent des dykes. Ils sont nombreux dans le Vélay et dans cette partie de l’Auvergne. Ce sont de véritables monumens de la puissance des matières volcaniques vomies à l’état liquide à l’époque des grandes déjections de la croûte terrestre. Le travail des eaux