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JEAN DE LA ROCHE

TROISIÈME PARTIE.[1]

XIII.

Je voyageai pendant cinq ans, c’est-à-dire que je passai, suivant mes convenances ou mes sympathies, plusieurs mois ou plusieurs semaines dans chaque contrée que je voulais connaître. Je fis deux fois le tour du monde, et je peux dire que rien ne m’est tout à fait étranger sous le ciel.

J’errais plutôt que je ne voyageais, n’ayant pas tant pour but de m’instruire que de m’oublier ; mais je m’instruisais pourtant malgré moi, et malgré moi aussi je me souvenais de moi-même. Il faut croire que j’ai une certaine force d’individualité, car bien souvent, au moment où je me croyais transformé en un autre homme, en un serviteur passif et indifférent d’une résolution prise par l’homme d’autrefois, je me retrouvai tout à coup tel que je m’étais quitté, c’est-à-dire âpre au bonheur, et irrité contre le sort qui m’avait trahi.

Chose étrange ! ces retours vers le passé, ces impatiences contre le présent devinrent plus vifs à mesure que j’avançais dans la vie. Au commencement, la nouveauté des objets, la satisfaction des caprices, une sorte de parti-pris contre mon pauvre cœur froissé, me soutinrent à travers les fatigues et les dangers sans nombre de mes voyages. C’est au moment où je devais m’y croire habitué que je sentis ce qui me manquait pour épouser l’isolement de la vie no-

  1. Voyez les livraisons du 15 octobre et du 1er novembre.