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REVUE. — CHRONIQUE.

tions admirables pour nous suggérer de nouveaux points de vue et pour nous fortifier dans notre tâche d’hommes, si nous savons comprendre que notre tâche est d’être des étudians et de concevoir humblement des présomptions à l’égard de la vérité. Si au contraire nous nous regardons comme des maîtres appelés à décider, et si c’est pour en tirer des oracles que nous fouillons le passé mystérieux, l’histoire est pire que le plus faux des romans ; elle ne sert qu’à nous empêcher d’atteindre la seule connaissance un peu certaine qui soit à notre portée, la connaissance de notre propre être.

Depuis quelques années, les religions de l’antiquité ont tout particulièrement attiré l’attention des théologiens protestans, et c’est d’un théologien encore, de M. Hardwick, avocat chrétien à l’université de Cambridge, que nous vient une nouvelle étude sur cet important sujet. Autant que nous pouvons en juger, l’auteur n’a pas de théorie personnelle à émettre sur l’origine et la filiation des mythologies, et il ne se donne pas comme ayant ouvert lui-même des sources nouvelles. Le but qu’il s’est tracé est d’examiner tour à tour les principales religions païennes (y compris celles de l’Amérique et de l’Océanie), et de discuter isolément les derniers résultats où la science est arrivée sur chacune d’elles, afin de fixer exactement les rapports que.chacune d’elles présente avec le christianisme. M. Hardwick est un esprit judicieux plutôt que spéculatif ; comme sa race, il a l’amour de la précision, et il est moins porté à généraliser pour son propre compte qu’à contrôler de près chacune des petites assertions qui sont impliquées dans un grand système. Qu’il ait une prédisposition qui influe forcément sur ses jugemens, cela va sans dire ; mais ceux même qui croient ne chercher que la vérité et ne conclure que d’après les faits ont aussi la leur : s’ils n’étaient pas mus à l’avance par un désir, ils ne pourraient pas même examiner, ni à plus forte raison se former une opinion.

À l’égard de l’Égypte, M. Hardwick rencontre naturellement sur sa route la théorie de M. Bunsen. C’est une théorie très enivrante certainement pour l’imagination, mais qui nous demande par trop d’oublier ce que l’expérience nous enseigne tous les jours. M. Bunsen ne se contente pas de prolonger le passé de l’Égypte jusque dans la nuit des premiers temps, il lui donne en quelque sorte des annales authentiques qui remontent bien au-delà des âges les plus lointains dont aucune légende ait prétendu garder un nébuleux souvenir. Ainsi que Babylone, remarque-t-il, l’empire des pharaons n’avait conservé aucune tradition d’un déluge, et son idiome, tel que la science nous l’a révélé en le débarrassant de ses bandelettes, est un mélange frappant de formes sémitiques quant à sa grammaire, et d’élémens iraniens (indo-germaniques) quant à son vocabulaire. En ajoutant à ces témoignages celui des monumens, M. Bunsen croit pouvoir établir que l’Égypte est restée en dehors du cataclysme qui a anéanti le gros de la race sémitique, et que la langue égyptienne est un dépôt antédiluvien du chamitisme.

À propos des livres sacrés de la Perse, M. Hardwick a encore occasion de rectifier plus d’une assertion excessive. Quoique le Zend-Avesta renferme sans contredit des fragmens ou des traditions d’une haute antiquité, on est bien moins certain maintenant d’y retrouver une expression pure de l’antique religion des Perses. Les dernières recherches ont conduit à penser que les traités dont il se compose ne pouvaient remonter, du moins dans leur