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qui est aujourd’hui de 640 millions de réaux, pourra être élevé à 740 millions. Les mesures extraordinaires destinées à subvenir aux dépenses de la guerre sont une augmentation de la cote foncière jusqu’au taux de 12 pour 100, une augmentation de 10 pour 100 sur l’impôt industriel et commercial, sur les droits de consommation, sur les droits hypothécaires, le rétablissement de l’ancien décompte sur les appointemens des employés. Enfin le gouvernement serait autorisé à étendre, selon les besoins publics, les crédits affectés par le budget extraordinaire de 1860 au matériel de la guerre et de la marine. Ces projets ont donné quelque peu à réfléchir. On s’est demandé tout d’abord comment l’établissement définitif de l’équilibre dans le budget normal pouvait se lier à un fait transitoire tel que la guerre. Tout n’a pas semblé d’ailleurs également heureux dans les combinaisons de M. Salaverria. Le projet d’impôt sur la transmission de la propriété mobilière a paru un médiocre emprunt fait à l’ancienne alcabala. Le choix des matières imposables et la nature des réformes proposées inspirent plus d’un doute. De tout ceci il résulte, ce nous semble, que l’Espagne n’est pas encore assez riche pour payer sa gloire, puisque, dès le premier jour, elle est obligée de forcer tous les ressorts de son système économique. Elle serait donc conduite naturellement à chercher dans la guerre des compensations politiques ; mais alors que deviennent les déclarations de désintéressement faites par le général O’Donnell ? Si le gouvernement espagnol se borne à châtier les pirates, il prépare une déception au pays ; s’il va plus loin, il élève peut-être une question européenne. Ainsi, vue à distance, cette expédition du Maroc est assurément une très juste et très légitime revendication devant laquelle le cabinet de Madrid ne pouvait reculer ; vue de plus près, elle a ses embarras et ses difficultés intimes, et sous cette unanimité créée par l’esprit de patriotisme, elle laisse deviner des dissonances persistantes entre les partis. Le général O’Donnell est après tout homme de ressources, et rien ne dit qu’il ne saura pas exécuter avec une prudente habileté ce qu’il a conçu avec hardiesse et résolution.

Nous ne pensons pas qu’une nation comme l’Espagne, dont le 3 pour 100 vaut à peine 42, puisse fonder une Algérie dans le Maroc, car une Algérie, nous en savons quelque chose, coûte pendant longtemps 100 millions par an, et nous croyons que, retenue par ce frein financier, l’Espagne ne fournira pas à l’Angleterre le prétexte de lui chercher chicane. Nous ne voulons pas non plus considérer comme un péril politique les accidens qui sont survenus à la compagnie du percement de l’isthme de Suez. Parmi ses malheurs, il en est que cette compagnie a peut-être mérités. Certes son président, M. de Lesseps, a montré de rares qualités comme agitateur et comme promoteur d’entreprises. Il faudrait aller en Angleterre et observer les hommes qui s’y passionnent pour une idée et finissent par la faire réussir pour trouver le type de ces apôtres d’un nouveau genre que M. de Lesseps réalise au milieu de nous. Il n’a eu qu’un tort, c’est d’organiser sa compagnie financière avant d’être parfaitement en règle sur la concession même à Constantinople. Les conséquences de cette erreur ne doivent pas, suivant nous, aller jusqu’à provoquer une lutte d’influence entre la France et l’Angleterre. Ce serait un curieux début pour une entreprise qui s’élève aux proportions d’une œuvre humanitaire que de brouiller les deux grandes nations