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L’expédition de l’Espagne contre le Maroc est un fait accompli, ou tout au moins décidé et en voie de s’accomplir. Les armemens poursuivis depuis quelque temps à Algésiras ne permettaient plus de douter que le gouvernement de la reine Isabelle n’eût le dessein arrêté d’aller relever le prestige du nom espagnol sur les côtes d’Afrique. Le cabinet de Madrid, la main déjà sur l’épée, a fait une dernière démarche en adressant à l’empereur du Maroc un ultimatum par lequel il réclamait de larges satisfactions pour le passé et d’efficaces garanties pour l’avenir. Les conditions dictées avant la guerre par le gouvernement de Madrid ont-elles paru trop rigoureuses au souverain barbaresque ? La diplomatie espagnole, assez faiblement représentée à Tanger, a-t-elle manqué d’autorité et d’habileté, ou plutôt tenait-on essentiellement à faire accepter des conditions dont il aurait peut-être fallu plus tard réclamer l’exécution par les armes ? Toujours est-il que l’empereur du Maroc a répondu d’une manière évasive. La rupture a éclaté par le rappel du consul espagnol à Tanger, et la guerre a été immédiatement déclarée. Le jour où cette déclaration a été portée aux cortès réunies depuis un mois, elle a été reçue avec un indicible enthousiasme. Tous les partis se sont confondus, — du moins en apparence, — et ont offert leur appui au gouvernement. La presse elle-même a fait ses offres de concours. La fibre espagnole s’est ébranlée à ce seul mot : « Le Dieu des batailles décidera ! » C’est le président du conseil lui-même, le général O’Donnell, qui doit prendre le commandement de l’armée destinée à opérer en Afrique, et composée, dit-on, de quarante mille hommes. C’est donc une guerre sérieuse qui commence, qui a commencé, pouvons-nous dire, puisque le blocus vient d’être mis devant les ports du Maroc, et en outre c’est une guerre de défense, de sûreté, si l’on peut ainsi parler, puisque le général O’Donnell a décliné dans les chambres toute pensée de conquête.

Cette expédition du Maroc serait évidemment une moins grosse affaire, si elle n’était qu’une simple querelle entre l’Espagne et un souverain barbare, si elle ne mettait en jeu d’autres intérêts qui relèvent presque au rang d’une question européenne. De quelque façon qu’on envisage les choses, on ne peut assurément refuser à l’Angleterre le droit de se préoccuper de ce qui se passe à cette entrée de la Méditerranée qu’elle domine du haut d’un rocher. L’Angleterre possède Gibraltar. L’apparition en force d’une autre puissance sur la rive opposée du détroit peut jusqu’à un certain point diminuer l’importance de sa forteresse, troubler sa sécurité dominatrice, gêner ses mouvemens. Joignez à ceci la coïncidence fortuite ou non en ce moment de l’expédition espagnole avec les opérations poursuivies par notre armée dans l’ouest de nos possessions africaines. Voilà bien de quoi expliquer ces méfiances et ces inquiétudes de la presse anglaise, dont les commentaires grondeurs vont souvent fort au-delà du Maroc. Et cependant il n’est pas moins vrai que, sous peine d’une aliénation d’indépendance, les intérêts, la sécurité, l’honneur de l’Espagne ne peuvent être subordonnés aux calculs de la politique anglaise. Les possessions de la France en Afrique, celles qui restent encore à l’Espagne sur la côte, et on pourrait ajouter le commerce de tous les pays, ne peuvent rester exposés aux pirateries barbaresques parce que l’Angleterre possède Gibraltar. Même quand l’Espagne serait conduite à occuper temporairement quelques points de la côte du Maroc ou à