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population n’avait que doublé. Le cercle du paupérisme s’était élargi au point de comprendre l’ensemble de la classe ouvrière, qui semblait avoir perdu toute prévoyance et tout scrupule de dignité. Deux jeunes gens se mariaient-ils, leur premier soin était de s’adresser aux inspecteurs pour être pourvus d’une maison, d’un lit et d’un petit mobilier. Un enfant naissait-il, nouvelle demande pour les frais de layette et de sage-femme. Venait-il à mourir, c’était à la paroisse de faire les frais de son inhumation. Au contraire vivait-il enfin, à la paroisse incombaient les dépenses de son éducation et de son entretien. Pour la jeunesse et pour la vieillesse, dans la maladie et la bonne santé, aux jours d’abondance et aux temps de disette, la paroisse était regardée comme une ressource inépuisable, et chacun s’attribuait le droit d’en tirer de quoi satisfaire à tous ses besoins, alors même qu’ils résultaient de la paresse et du vice. Dans beaucoup de localités, la taxe des pauvres ne permettait plus aux tenanciers de payer leur fermage ; mais les journaliers ne la trouvaient pas encore suffisante, et, voyant dans tout contribuable un adversaire toujours prêt à leur contester leur dû, ils attendaient avec impatience l’occasion de se venger de cette classe ennemie. Une sourde haine partageait le pays en deux camps, et vers la fin de 1830, dans les comtés agricoles du sud, les hostilités avaient déjà commencé par des incendies. Dès lors plus de repos pour les fermiers, qui jour et nuit, l’œil ouvert sur les indigens et les vagabonds, faisaient d’inutiles patrouilles autour des granges et des meules, vouées à une inévitable destruction. Les troupes harassées marchaient toujours précédées d’une colonne de feu ou de fumée. Une dénonciation suivie de conviction était payée 12,500 francs, et cette récompense s’accordait souvent à l’instigateur du crime, tandis que ses aveugles instrumens en emportaient le secret dans la fosse des suppliciés.

Tels étaient les tristes effets qu’on avait obtenus en substituant à la charité le droit au travail et à l’assistance. Les prévisions un peu tardives du comité de 1817 s’accomplissaient. Dans tout autre pays, on aurait mis les comtés en état de siège, nommé des cours martiales et des commissions exécutives ; en Angleterre, on procéda à une enquête, et cette enquête dura deux ans. Le 18 mars 1833, les commissaires de l’enquête présentèrent au gouvernement un volume contenant les détails de la situation dont nous venons d’exposer l’aspect général, et à laquelle faisaient exception deux communes seulement, celles de Bingham et de Southwell. On avait cru voir partout ailleurs la cause des progrès de la misère dans l’insuffisance des secours ; là au contraire on la vit dans les exagérations de l’assistance. L’auteur de l’histoire qui nous fournit ces renseignemens,