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ce qu’étaient récemment encore les klephtes de la Grèce asservie.

L’histoire de l’Angleterre, à partir de cette époque, nous montre le brigandage et la mendicité faisant d’incessans progrès. De 1307 à 1327, sous le règne d’Edouard II, les guerres étrangères, les luttes intestines, et surtout la famine, qui obligea la noblesse à émanciper une grande partie des gens qu’elle ne pouvait plus nourrir, augmentèrent encore le nombre des mendians et des malfaiteurs. Aussi la législation du paupérisme eut-elle pendant longtemps un caractère exclusivement répressif. Le mal s’aggrava encore vers la fin du règne du vainqueur de Crécy, dont les mains affaiblies par l’âge ne tenaient plus avec la même fermeté les rênes du gouvernement, et c’est au milieu des plus affligeans désordres que monta sur le trône le jeune Richard II. Les révoltes des serfs, ces terribles convulsions de la féodalité chancelante, fournirent de nouvelles occasions aux crimes du brigandage, malgré la rigueur avec laquelle les insurgés eux-mêmes les punissaient. En 1378, le roi nomma dans chaque comté des commissions pour arrêter les malfaiteurs sans autre forme de procès et les tenir en prison jusqu’à l’arrivée des juges ; mais les Anglais, mus par un sentiment qui a toujours prédominé chez eux, aimèrent mieux assurer l’impunité des assassins et des voleurs que de compromettre la liberté des honnêtes gens. À la prière des communes, cette loi fut rapportée, les individus arrêtés par les commissaires furent élargis, et le crime marcha tête haute à la faveur de l’habeas corpus. Pourtant, après l’insurrection dirigée par Wat Tyler, quand les barons et les chevaliers eurent massacré à Londres, sur la place de Smithfields, les cent mille ribauds sans chausse conduits par un couvreur en tuiles, comme les chevaliers gascons revenant de la bataille de Poitiers avaient taillé en pièces quarante mille Jacques sur la place de Meaux, le roi se sentit plus fort et les communes se montrèrent moins jalouses des droits individuels garantis par la grande charte. Le statut de Winchester fut remis en vigueur, et plein pouvoir donné aux juges et aux shérifs pour arrêter les vagabonds.

Ces mesures se trouvant insuffisantes, en 1388 on en adopta une autre dont la disposition principale n’est pas encore abolie de nos jours, et qui, depuis quatre cent soixante-dix ans, au milieu de tous les progrès de la liberté, retient les prolétaires anglais attachés à la glèbe, non pas seigneuriale, mais paroissiale. Par cet acte, il fut interdit à tout serviteur ou journalier, homme ou femme, de quitter le lieu de sa résidence à l’expiration de son bail. Tout contrevenant dut être mis au stock[1] et retenu en prison jusqu’à ce qu’il eût

  1. Espèce de pilori où le patient est assis et pris par une jambe.