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parole prompte, un esprit vif et en même temps positif. Elle pouvait atteler une voiture ou conduire un bateau à la rame ; elle aurait sellé et monté tous les chevaux du voisinage ; elle taillait à merveille tous les ajustemens imaginables, elle savait faire la pâtisserie, les confitures et les liqueurs dès son plus jeune âge, avec le succès le plus précoce, et tout cela sans le moindre préjudice à un certain air de qualité qui était inséparable de sa gracieuse personne.

« Elle avait été une excellente femme : son industrie et son économie avaient seules rendu possible l’acquisition de la petite ferme et du cottage. Devenue veuve, elle s’absorba dans la religion, à la façon de la Nouvelle-Angleterre, où la dévotion se nourrit de doctrines et non de cérémonies. À mesure qu’elle vieillit, l’énergie de son caractère, sa vigueur et son jugement sain la firent regarder comme une mère dans Israël. Le ministre logeait chez elle, et elle était toujours la première consultée sur tout ce qui était relatif à la prospérité de l’église. Aucune femme n’affrontait plus courageusement un long sermon, et n’apportait une adhésion plus résolue à une doctrine difficile. »


Un jour cependant, le cœur de cette femme si énergique et si positive avait parlé, et, à la surprise générale, elle avait choisi pour époux le plus modeste, le plus timide et le plus pauvre de tous ses soupirans. Des fruits de cette union, il ne lui reste plus qu’une belle jeune fille de dix-sept ans, au teint pâle, aux cheveux châtains, et, dans le caractère comme dans les traits délicats de cette enfant, elle retrouve l’image de l’homme dont la mémoire lui est chère. Sérieuse et grave, attachée à tous ses devoirs, fermement croyante, élevée dans les doctrines les plus rigoureuses, la jeune Mary porte en elle un cœur prêt à parler, et dont les aspirations aimantes sont en secrète révolte contre la rigidité de ses principes.


« Notre pauvre petite héroïne n’était point une de ces demoiselles que forment nos pensionnats d’aujourd’hui, et que nous voyons, en négligé de soie chatoyante, au milieu d’une agréable profusion de bijoux, de rubans, de colifichets, de dentelles et d’adorateurs, discourir à perte de vue. Quoique sa mère valût un monde à elle seule pour l’énergie et la ressource, et qu’elle eût dépensé sur cet unique objet de ses affections, en vigueur, en soins et en bons enseignemens, de quoi suffire à seize enfans, le résultat n’était pas de nature à être fort apprécié de nos jours. Mary n’aurait su ni valser, ni polker, ni jargonner en français, ni chanter des romances italiennes. En revanche, elle savait filer sur le grand et le petit rouet, et les armoires étaient pleines de serviettes, de nappes, de draps et de taies d’oreiller qui attestaient l’habileté de ses petits doigts. Elle avait façonné plusieurs canevas d’une si rare beauté, qu’on les avait encadrés ; ils étaient suspendus dans les différentes pièces de la maison, étalant aux yeux une infinie variété de dessins à l’aiguille admirablement exécutés. Mary excellait à coudre et à broder, à tailler et à ajuster les vêtemens avec une adresse calme et tranquille qui surprenait son énergique mère : celle-ci ne pouvait comprendre qu’on pût faire tant de choses avec si peu de bruit. Bref, pour tous les soins