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La préparation du chocolat est loin d’être uniforme dans tous les pays. En Espagne, on a conservé l’habitude ancienne d’y mettre une faible dose de sucre, de torréfier peu, de broyer grossièrement le mélange, souvent d’aromatiser fortement la pâte ; dans quelques variétés de choix, où les meilleurs produits de la vallée de Caracas dominent, le chocolat espagnol est vraiment digne de son antique renommée. En Italie, la torréfaction est poussée plus loin, parfois jusqu’à développer une saveur amère. On broie finement la pâte sans y ajouter beaucoup de sucre ; on aromatise avec une telle dose de cannelle réduite en poudre, que l’odeur de cette écorce domine l’arôme du cacao. En Allemagne, la torréfaction légère est précédée d’un décorticage à l’eau bouillante, le cacao mondé est réduit en une poudre fine que l’on mélange avec le sucre, de telle sorte qu’il suffit de délayer ce mélange avec de l’eau bouillante pour préparer le chocolat. En Angleterre, c’est aussi à l’état pulvérulent que les fabricans et marchands livrent le cacao, seul ou mélangé avec des doses variables de sucre ; mais cette habitude, encore assez générale, cessera sans doute lorsque la population aura pu comparer les chocolats préparés à Londres suivant les méthodes françaises, garantis par les noms imprimés sur les tablettes, avec des produits irréguliers, difficiles à conserver, et sujets aux mélanges en dépit des assurances formelles des enseignes et prospectus portant tous : pur genuine cacao.

Nous venons d’indiquer les conditions, assez difficiles en général, que rencontre sur les lieux de production comme sur les marchés de la métropole une des plus utiles substances alimentaires que nous devions à la découverte du Nouveau-Monde. Ce produit, dont le public connaît trop peu encore l’origine et la fabrication, semble appelé heureusement à reprendre dans l’alimentation publique le rang qui lui appartient par ses propriétés éminemment nutritives et réparatrices, sa saveur et son arôme agréable. Si de nombreux obstacles s’opposent encore à la propagation de ce précieux aliment parmi les classes les plus nombreuses de la population, on entrevoit des moyens efficaces de vaincre ces derniers obstacles. Lorsque le chocolat, dégagé de toute altération, pourra fournir un aliment économique aux familles peu favorisées de la fortune, il contribuera, pour une large part, à servir les intérêts de la santé publique aussi bien que ceux de l’industrie coloniale. La nature même des procédés auxquels il faudra recourir pour arriver à un tel but est très digne de l’attention des savans, car ces procédés manifesteront leur salutaire influence par deux résultats également désirables : la loyauté des méthodes industrielles et la sûreté des transactions commerciales.


Payen, de l’Institut.