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Nouveau-Monde les Espagnols trouvèrent l’usage du chocolat répandu parmi les populations qu’ils allaient combattre ; ils reconnurent, non sans surprise, que le cacao formait la base principale de la nourriture des indigènes, dont l’embonpoint, le teint florissant, annonçaient une vigoureuse santé. Pendant longtemps, ils s’abstinrent de transmettre en Europe des notions dont ils voulaient tirer profit à l’exclusion des autres peuples[1]. Ce fut seulement en 1649 que l’on put commencer des essais de culture de l’arbre précieux dans l’île de Sainte-Croix, aux Antilles, la plus méridionale des îles vierges, appartenant aujourd’hui aux Danois, qui l’avaient acquise des Français. Vers 1655, les Caraïbes découvrirent un pied de cacaoyer dans les forêts de la Martinique. On est donc fondé à placer le cacaoyer parmi les arbres indigènes des Antilles[2]. Quelques années plus tard, en 1684, un israélite nommé Benjamin Dacosta fit, à la Martinique même, le premier essai d’une plantation régulière de cacaoyers. Dès lors l’usage du chocolat se propagea rapidement en France, et la production du cacao assura une précieuse ressource aux colons trop peu favorisés de la fortune pour entreprendre la culture des cannes et l’extraction dispendieuse du sucre. D’ailleurs les terres humides de certaines vallées où les transports sont difficiles conviennent peu à ces dernières exploitations, tandis qu’elles se prêtent aisément à la récolte du cacao.

La Martinique, devenue ainsi l’un des premiers centres de la production du cacao, fut bien tristement initiée aux désastres si fréquens contre lesquels les colons adonnés à cette culture ne sauraient trop soigneusement s’abriter. La période florissante commencée dans cette île en 1684 fut brusquement interrompue au bout de trente-trois ans, en 1727. Un violent orage, une déplorable inondation, ruinèrent les plantations d’arbres à cacao, ou, pour employer l’expression du pays, les cacaoyères martiniquaines. À cette époque, la culture du cafier venait d’être introduite dans la colonie ; des plantations de l’arbrisseau africain remplacèrent les cacaoyères bouleversées. On s’appliqua cependant à relever l’industrie des producteurs

  1. On considérait dans l’empire de Montezuma, la culture des cacaoyers comme la principale richesse du pays. Suivant Herrera, c’était au milieu de grandes solennités que les Mexicains se préparaient aux ensemencemens, aux plantations et aux premiers soins des arrosages. Les Espagnols ne tardèrent pas longtemps d’ailleurs à négliger cette admirable culture, comme toutes les autres, pour se livrer à la recherche des métaux précieux.
  2. C’est l’opinion du savant auteur de la Flore des Antilles, M. Tussac. Il y a néanmoins dans la Guyane des forêts entières de cacaoyers dont les fruits servent de nourriture aux singes. Cet arbre vient également sans culture a Cayenne ; il croît spontanément aussi dans le Nicaragua et le Guatemala, dans les régions de l’Amérique méridionale le long de la rivière des Amazones, sur la côte de Caracas, à Saint-Domingue, etc.