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— C’est très beau ; mais voyez comme je suis ignorant ! Je ne me doutais pas que la fabrication du point fût si ancienne dans ma province.

— Eh bien ! si vous eussiez vécu dans ce temps-là, vous auriez commandé des garnitures de dentelles pour orner la housse et le gorgerin de votre cheval. C’était la mode, et ce pouvait être joli. Je trouve que rien n’est trop beau pour ces animaux-là, moi ; j’adore les chevaux. Vous en avez un très gentil. Sa figure me plaît beaucoup.

— Peut-être plus que celle de son maître, pensai-je en remarquant l’aisance et la liberté d’esprit avec laquelle cette belle enfant me parlait.

VII.

Cependant M. Butler ne venait pas, et sa fille n’en témoignait ni surprise ni impatience. Le fait est que, plongé dans quelque problème, ou voulant terminer quelque partie d’un travail commencé, il avait complètement oublié que je l’attendais ; mais, ne sachant point encore combien cet excellent homme était capable de négliger pour la science ses intérêts les plus chers et ses préoccupations les plus sacrées, je m’imaginai qu’il me laissait à dessein en tête à tête avec sa fille, afin que nous pussions nous connaître et nous juger l’un l’autre.

Enhardi par cette supposition, je m’efforçai de réparer mes bizarreries de la première entrevue et de redevenir un peu moi-même, c’est-à-dire un garçon aussi facile à vivre et aussi expansif que tout autre. La glace ne fut pas difficile à rompre, car je trouvai chez miss Love une bienveillance égale à celle que son père m’avait témoignée. Soit que ce fût une disposition naturelle de son caractère, soit qu’elle devinât l’intérêt particulier que je lui portais, au bout d’un quart d’heure nous causions comme si nous nous connaissions depuis longtemps. Elle avait ou elle montrait plus de gaieté que d’esprit, aucune amertume dans son enjouement, et le mépris de tout paradoxe, chose assez rare chez une jeune fille instruite.

Je n’eus pas le mauvais goût de lui laisser deviner mes sentimens pour elle ; mais, en me livrant, sur tout le reste, à un certain épanchement de cœur, je l’amenai à la faire parler d’elle-même.

— Moi, dit-elle, sauf un grand chagrin qui m’a frappée quand je n’avais encore que dix ans, je veux parler de la mort de ma pauvre mère, j’ai toujours été heureuse. Vous ne vous figurez pas comme mon père est bon et comme on vit tranquille et libre avec lui. Hope est un amour d’enfant, et quand je dis un enfant, c’est parce qu’il