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âges primitifs doit avoir suivi dans leurs migrations les animaux qui peuplaient l’Europe avant l’ordre actuel, et c’est peut-être lui qui en a hâté la destruction. Ses flèches de silex, ses casse-tête, ses haches faites de pierre dure, ont donné la mort aux bêtes fauves qui inquiétaient sa demeure, et dont la chair lui fournissait une abondante nourriture. Dans les tourbières de l’Irlande, où l’on découvre souvent les restes de l’élan primitif ou cerf gigantesque, espèce actuellement éteinte, la côte d’un de ces ruminans a offert la trace d’une perforation due certainement à quelque instrument pointu. L’animal avait été frappé pendant sa vie, car on a remarqué au point atteint une effusion de calus ou de substance osseuse nouvelle, ce qui n’a pu résulter que d’un séjour prolongé dans la blessure de l’arme meurtrière.

Dans les habitations sur pilotis dont les vestiges ont été signalés en un grand nombre de lacs de la Suisse, et qui remontent incontestablement à une très haute antiquité, puisqu’il ne s’y rencontre que des armes en silex et des fragmens de poterie grossière, des os d’animaux sont épars au milieu de charbons et d’objets calcinés ; ce sont vraisemblablement les restes des repas faits par les sauvages fixés dans ces demeures lacustres. Or on y voit figurer les vertèbres du cerf gigantesque de l’époque quaternaire, qui a disparu de la Suisse comme de l’Irlande, et qui, dans l’un et l’autre pays, a dû se trouver ainsi contemporain de l’homme. — La nature du terrain et non l’espèce des animaux doit au reste nous faire juger de l’antiquité de ces vestiges, puisque nous avons vu plus haut que bien des espèces s’étaient éteintes depuis l’époque historique. À Colchester, en 1849, on a découvert, au milieu de ruines romaines, les cornes et le crâne du bos longifrons, qui, bien qu’aujourd’hui inconnu, a dû vivre en Angleterre au commencement de notre ère.

L’extinction d’une espèce animale n’est pas un fait qu’on doive nécessairement reporter aux premiers âges du monde, et nous sommes peut-être trop enclins à reculer dans les lointaines périodes des événemens que nous n’avons simplement pas vus. Si l’homme a pu être l’une des causes de l’extinction de grandes espèces dont les terrains quaternaires conservent les fossiles, il n’a d’ailleurs pas été la seule. Il existe pour les animaux tant d’agens de destruction ! Les différentes espèces se font entre elles une guerre presque aussi acharnée que nous la leur faisons nous-mêmes ; elles se dévorent les unes les autres, et toute une espèce a pu devenir la proie des carnassiers qui la poursuivaient. Le rat noir aborigène de l’Angleterre a presque totalement disparu sous la dent du rat gris du Hanovre, que portèrent au-delà de la Manche les vaisseaux de Guillaume III. Certains animaux sont d’une férocité telle qu’ils répandent