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l’Océan, et tendent ainsi à déranger la relation naturelle qui existe entre les frontières de chaque espèce et les degrés de latitude. Depuis que M. le lieutenant Maury, par ses beaux travaux sur les courans[1], est parvenu à dresser une carte complète des fleuves et des rivières qui se forment au sein même des mers, on a saisi une liaison étroite entre le mode de répartition de ces courans et la distribution des mollusques et des crustacés. Un habile naturaliste américain, M. Dana, a mis ces faits en évidence dans un travail curieux. MM. Ed. Forbes et Löven ont démontré, par une étude attentive de la distribution des poissons et des mollusques, que plus facilement une espèce peut vivre à des profondeurs différentes sur le même littoral, plus aussi elle se propage sur de grandes étendues en surface. Ainsi certaines espèces de poissons dont l’aire est considérable peuvent, en s’élevant ou en s’abaissant au sein des eaux, choisir sous chaque latitude la localité qui leur convient ; d’autres au contraire ne sortent pas d’une région assez limitée. Que la nature des eaux, après avoir changé dans l’étendue de toute une mer, redevienne ce qu’elle était à une distance de quelques milliers de lieues, les formes animales reparaîtront à peu près les mêmes ; la similitude de conditions semble amener le retour des mêmes types. Le navigateur James Ross a observé dans les profondeurs des mers antarctiques plusieurs des espèces qui caractérisent la faune arctique. On trouve dans la mer de Chine et du Japon les mêmes espèces de requin qui fréquentent les côtes de l’Australie. Toutefois on doit reconnaître, avec le célèbre naturaliste J. Richardson, que les poissons doués d’une grande puissance de locomotion se transportent parfois assez loin de leur région propre ; les espèces tropicales remontent aisément vers le nord, et la présence des archipels contribue beaucoup à leur propagation. Si les côtes opposées de l’Afrique et de l’Amérique offrent une population ichthyologique très différente, c’est qu’elles sont séparées par une mer profonde et étendue, sans chaîne d’îles transversales.

La vie animale est singulièrement développée au sein des eaux. À toutes les profondeurs, il y a des êtres animés ; mais à mesure que l’on s’enfonce, le nombre des espèces et des individus diminue. Ed. Forbes, qu’une mort prématurée a enlevé à la géographie zoologique, distinguait dans les mers, jusqu’à une profondeur de deux cent trente brasses, huit régions, ayant chacune sa faune propre. Dans la Méditerranée, quand la ligne de sonde atteint trois cents brasses, toute vie animale a disparu. L’appareil de Brooke, qui est une sonde perfectionnée, a permis de ramener de plus grandes profondeurs

  1. Voyez, dans la livraison du 1er mars 1858, l’étude de M. E. du Hailly.