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juste et admirablement dit, et nous pouvons l’opposer à ceux qui, sous prétexte que nous ignorons beaucoup, veulent que nous ne sachions rien, comme à ceux qui croient que nous savons tout, parce que nous connaissons un peu. Seulement n’oublions pas que c’est belle et grande chose que de pouvoir affirmer la réunion dans l’infini des lignes les plus divergentes. Constatons aussi les pas nouveaux que deux mille ans ont permis à l’humanité de faire dans son voyage le long de l’éternité. Nous avons depuis lors doublé plus d’un cap. Que sera la terre promise ? Nous n’en savons rien encore, mais il y a des vigies qui ont déjà crié : « Terre à l’horizon ! »

La solution proposée par l’auteur inconnu du Livre de Job est donc aussi vraie aujourd’hui que de son temps. Se soumettre à la puissance insondable et souverainement sage qui a disposé les choses dans l’ordre où nous les voyons, voilà le devoir. N’accuser que notre ignorance, quand il nous semble que le chaos et l’arbitraire prennent dans notre destinée la place de la raison suprême qui pénètre tout le reste, voilà la sagesse. Dans quelque position que l’on se trouve maintenir sa confiance et son énergie, se demander quelle est l’obligation morale correspondant à la situation donnée, et l’accomplir courageusement, sans s’abandonner aux craintes lâches et aux lamentations puériles, voilà la vertu.

Ce qui est certain pourtant, c’est que nous voyons l’adversité et la souffrance en général avec d’autres yeux que Job et ses amis. Si nous ne pouvons encore la soumettre à notre raison de manière à la comprendre et à l’approuver dans toutes ses manifestations, nous sommes tout près de sentir qu’elle fait partie de l’harmonie universelle comme élément nécessaire du perfectionnement des êtres moraux. Il suffit, pour comprendre ceci, de réfléchir quelques instans à ce que serait le monde sans la douleur. Le soleil du monde moral ne s’est-il pas levé sur la terre le jour où pour la première fois un être humain a senti que quelque chose le mordait au cœur, quoique ses sens fussent flattés ? S’imagine-t-on la vertu toujours heureuse, toujours facile et douce ? Quel renversement d’idées et de mots ! Ou bien voudrait-on que du moins la souffrance ne fût le partage que des coupables, et que la vieille théorie sémitique fût la vérité ? Autre déraison : il faudrait alors acquiescer à la morale professée par Satan dans le Livre de Job, et se condamner à ne plus distinguer la vertu de la spéculation. Ne découronnons pas l’humanité, n’estimons pas à vil prix les plus belles perles de son diadème. Assurément la nature est bien belle, et l’on se plonge avec ravissement dans ses abîmes de poésie, de grandeur et de grâce. Assurément l’art et la science, ces deux muses, ces deux divines sœurs, ont le droit d’exiger notre amour et de nous faire tomber à genoux devant