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plus de justice, et on admit que des équipages où les marins des classes entreraient pour deux tiers, les recrues de terre pour un tiers, seraient susceptibles d’un bon service à bord des bâtimens à voile. Avec la vapeur, on devait faire un pas de plus, et on l’a fait. Il paraît accepté aujourd’hui que le partage peut s’opérer entre les deux élémens d’une manière à peu près égale. Ainsi, dans l’hypothèse d’un armement complet, semblable à celui dont nous ayons donné le détail, 45,000 hommes seulement seraient demandés à l’inscription maritime ; le reste pourrait être emprunté à la conscription. Les avantages de cette combinaison sont faciles à apprécier. En premier lieu, en ne prenant que 45,000 sujets aux registres des classes qui en portent 90,000, on peut à la fois faire un choix et se ménager une réserve égale au chiffre des levées : 45,000 marins resteraient disponibles pour remplacer ceux qui seraient tombés devant l’ennemi. Ensuite, en identifiant de plus en plus aux services de la mer des hommes qui ne sont pas nés dans la profession, on ouvre au recrutement de nos flottes des ressources à peu près inépuisables ; on supprime une des causes de notre infériorité vis-à-vis des états qui sont mieux pourvus que nous en marins de commerce.

Ce changement dans les habitudes ne s’est produit et ne s’affermira, on le devine, qu’à la suite d’efforts persévérans et des combinaisons appropriées. Ce qui a le plus aidé à cette transformation, ce sont des institutions spéciales créées en vue de services déterminés. L’enseignement des équipages avait autrefois un caractère général, comme si tous les hommes dussent être appelés à tout faire, et dans des fonctions distinctes se suppléer presque indistinctement. Cette variété d’instruction, près de ses bons côtés, avait un côté faible et un grave inconvénient : c’est que les services n’arrivaient pas à leur degré de perfection, faute d’être exclusivement dévolus aux mêmes hommes. On revient aujourd’hui là-dessus et dans ce sens : on multiplie les écoles spéciales, où l’instruction est donnée à fond et où les recrues de l’intérieur trouvent des cadres qui leur sont affectés. La première de ces écoles, et la plus utile sans contredit, est celle des matelots canonnière ; elle a son siège sur un vaisseau qui est constamment en cours d’exercices, quelquefois à l’ancre, le plus souvent à la voile. Cette institution, quoique récente, a déjà eu de très bons effets. L’école peut former par an de 900 à 1,000 sujets, qui, après huit mois d’instruction, sont répartis sur les vaisseaux, où ils deviennent d’excellens chefs de pièce, et font à leur tour des élèves. Un examen précède leur sortie, et, après l’avoir subi, ils reçoivent un brevet. La moitié au moins de ces canonniers provient du recrutement ; ils sont l’élite de la flotte, et dans aucune autre marine ils n’ont de supérieurs pour l’habileté, la tenue, le zèle et l’esprit de corps. Lorsqu’il y a deux ans, le grand-duc Constantin visita nos ports militaires, le vaisseau des matelots canonniers fut un des détails qui fixa le plus vivement son attention ; il se montra émerveillé de l’ardeur que montraient ces hommes, de la dextérité avec laquelle ils maniaient les canons, de la justesse et de la promptitude du tir, de l’ordre qui régnait dans les manœuvres.

À côté de cette école des matelots canonniers, il existe sur le même vaisseau une petite école de matelots timoniers qui se compose de marins des classes. Elle n’a que trois ans d’existence et a déjà porté de bons fruits.