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qu’aux États-Unis et en Angleterre, où les contrats sont libres, il faut payer ces services à leur prix réel sous peine d’en manquer, tandis qu’en France on peut y mettre le prix qu’on veut puisqu’on les impose. L’engagé est à la merci de l’état, qui l’engage ; l’état a fait la loi : fût-elle plus dure, il faudrait la subir. De là des répugnances faciles à comprendre, et qu’une augmentation de salaire, si légère qu’elle fût, diminuerait, si elle ne les détruisait pas.

Un autre allégement pour les hommes des classes serait dans un emploi plus étendu des hommes du recrutement. Pour que cet élément entrât dans la composition des équipages, il a fallu triompher de beaucoup de préventions. On n’admettait pas jadis qu’il pût y avoir à bord des vaisseaux autre chose que des marins de profession. Ces préventions n’existent plus ; les hommes du recrutement comptent aujourd’hui dans la flotte comme de bons auxiliaires, et sont destinés à y gagner du terrain. Tirés de l’intérieur, ils sont en général plus vigoureux et de plus grande taille que les gens des côtes, et, sinon pour l’adresse, du moins pour ce qui exige de la force musculaire, ils leur sont supérieurs. Leur nombre, qui varie entre 6 ou 7,000 par an, pourrait dès à présent être doublé, triplé même, non-seulement sans inconvénient, mais avec un avantage marqué pour le service. C’est la vapeur qui a rendu possible, en beaucoup de détails, cette substitution des conscrits aux inscrits, et on va comprendre comment. Tant que la voile restait l’unique moteur, tout s’effaçait et devait s’effacer à bord devant ceux qui savaient la manier, et un homme du recrutement ne pouvait pas y prétendre ; les marins des classes, chargés des manœuvres des hunes, étaient aussi chargés presque exclusivement de la manœuvre des canons. On y employait de fins matelots, des hommes à qui la mer était familière. Avec la vapeur, ces fins matelots, sans perdre de leur prix, sont moins indispensables, et les hommes du recrutement peuvent les suppléer sur les ponts et dans les batteries. Par une expérience qui remonte à plusieurs années, il est démontré que les conscrits du contingent deviennent, après quelques mois passés à bord des vaisseaux, d’aussi bons canonniers que les marins des classes, dont l’apprentissage n’est ni moins long ni moins sujet à des mécomptes. Or le canonnage sera de plus en plus l’objet essentiel de l’instruction maritime et la force d’un établissement naval. Il restera aux marins des classes, comme domaine réservé, les services où la voile se maintient, les croisières, les transports, les stations et expéditions lointaines ; quant à ceux dont la vapeur s’empare et qu’elle n’abandonnera plus, ils peuvent être indistinctement remplis par les inscrits et les conscrits, par les hommes des classes et les hommes du contingent. Ces derniers prennent ainsi dans la flotte un degré d’importance qui en modifiera nécessairement l’organisation ; ils y figurent au poste essentiel, le poste de combat, et au lieu d’y entrer comme un simple appoint, ils sont en position aujourd’hui de joindre à leurs autres titres celui du nombre.

En effet les proportions d’amalgame entre les deux élémens dont se composent les équipages sont devenus, aux yeux des personnes compétentes, susceptibles de modifications. Dans l’époque des débuts, un homme du contingent n’était considéré dans le service de mer que comme une superfétation, presque comme un embarras. Plus tard, on rendit à ces braves gens