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veraineté de la mort; mais l’accent du poète français éclipse en vigueur ce froid dédain avec lequel le grand panthéiste anglais exprime son horreur de la tyrannie, et, devant ses images toutes plastiques, les images de Shelley, semblables à des vapeurs colorées, se dissipent comme un brouillard devant la lumière.

Sultan Mourad est un poème aussi violent que Zim-Zizimi est grave et solennel; l’horreur y heurte le grotesque, et la puissance y est humiliée par la gratitude la plus bouffonne qui se puisse imaginer. Sultan Mourad fit trembler la terre; tant qu’il vécut, son glaive ne se reposa pas un seul instant; le carnage fut l’occupation sérieuse de sa vie, le meurtre était son passe-temps. Il fit étrangler ses huit frères; il fit scier entre deux planches son oncle Achmet; il fit jeter à la mer les vingt femmes qui composaient le sérail de son père; il fit éventrer douze enfans pour retrouver dans leurs entrailles une pomme volée; il tua son fils pour se distraire. Jamais il ne pardonna; lorsqu’il mourut, personne ne se rappelait qu’un éclair de bonté eût traversé son âme. Il y avait néanmoins dans son existence un trait de charité, fort singulier vraiment, ignoré de toute la terre, mais inscrit dans le ciel. Un jour qu’il passait dans les rues de Bagdad, il aperçut à la porte d’un boucher un misérable pourceau expirant que dévoraient les mouches; Mourad eut pitié du pourceau, le mit à l’ombre et écarta les mouches. Mourad mourut, et lorsque son âme sanglante monta vers le ciel, les fantômes de ses crimes montèrent avec lui comme un tourbillon, et les clameurs de ses victimes éclatèrent comme un orage :

C’est Mourad ! c’est Mourad ! Justice, ô Dieu vivant !

La colère empourpre le front des anges, les grilles de l’enfer s’ouvrent d’elles-mêmes, lorsque soudain une bête immonde apparaît devant le saint des saints et vient demander le pardon de Mourad. C’est le porc secouru par le sultan. Soyez donc le maître du monde, soyez donc au-dessus de tous les hommes, pour qu’au jour du jugement votre seul témoin soit un pourceau dont vous avez adouci la mort! Et pour comble d’humiliation. Dieu daigne écouter les prières de l’immonde animal et lui accorde la grâce de Mourad. Cette apparition du pourceau devant le trône de Dieu est loin de me déplaire; nous rappellerons à ceux à qui elle paraîtrait de mauvais goût que les paraboles orientales fourmillent de telles hardiesses, que les sectateurs du Koran ne connaissent pas nos répugnances académiques, et qu’ils ne comprendraient pas que Racine ait excité l’admiration de certains classiques pour avoir osé introduire le mot chien dans le songe d’Athalie. A un autre point de