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éventuel et ne repose que sur la générosité des passans ; mais les Anglais estiment que tout service mérite salaire, et leur bourse s’ouvre volontiers à qui demande la charité au nom du travail. Il est trop vrai pourtant que les balayeurs des rues reçoivent plus de promesses que de gros sous. « Je n’ai point de monnaie sur moi, disait un gentleman à un cross-sweeper qui lui tendait la main ; mais je vous donnerai en repassant. — Merci, répondit l’enfant ; seulement, si votre honneur savait combien j’ai perdu de pence de cette manière-là ! » Le balayeur des rues a d’ailleurs vu diminuer son importance depuis le règne des shoe-blacks. Le décrotteur noir avait le coup d’œil juste : une industrie devait tuer l’autre. Le balayage libre dans les rues et sur les places publiques de Londres était autrefois un petit métier profitable. Il y eut un temps où les balayeurs de la vieille cité amassaient d’assez grosses sommes d’argent. Dans plus d’un cas, quelques-uns d’entre eux laissèrent une part de leur petite fortune aux personnes bienveillantes qui avaient coutume de leur dire de bonnes paroles et de leur faire l’aumône en passant par le sentier qu’ils avaient ouvert. La fille de l’alderman Watthman reçut ainsi un legs important. Devant la maison de son père, un vieux nègre balayait la traverse (crossing), et le nègre n’oublia point au lit de mort celle qu’il avait aimée durant la vie comme l’ange de la charité.

Le shoe-black et le street-crossing-sweeper, quoiqu’ils changent souvent de stations, peuvent être considérés comme travaillant à poste fixe ; mais nous retrouvons dans le groupe des nettoyeurs une industrie errante, c’est celle du chimney-sweeper. Le 1er mai 1856, je me trouvais dans une des rues de Wapping, quand je vis passer un grotesque cortège. Des hommes déguisés d’une manière extravagante, couverts de lambeaux d’étoffe, d’ornemens en papier doré et d’autres bimbeloteries, dansaient au son du tambour et des chalumeaux, en frappant dans leurs mains des pelles et des brosses. Les principaux personnages de cette mascarade étaient Colombine, my lord, le clown, le tambour (drummer), Jack in the green et une bande de petits lutins. Jack in the green est un homme entièrement caché sous une ruche de bois couverte de feuillages et de bouquets de fleurs entrelacés. La multitude trouvait un plaisir extrême à voir danser cette pyramide de verdure. Le cortège courait ainsi de rue en rue, recueillant des sous et des pièces blanches pour faire un grand souper le troisième jour. Debout sur le seuil de la maison, un homme regardait passer cette procession d’un œil navré. Je le reconnus pour un chimney-sweeper qui était venu, au commencement de l’hiver, balayer la suie dans les cheminées de mon landlord. C’était un grand homme maigre, sur le front duquel les rides enfumées