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colère, bien des encouragemens silencieux et bien des insultes ténébreuses. Grince des dents, envie ; siffle, malice ; rugis, méchanceté, et toi, sympathie charmante, fais briller dans les yeux amis les rayons de ton adorable lumière ! — M. Victor Hugo est un de ces heureux privilégiés, et peut-être le-premier de tous à notre époque. Respecté par les uns comme un maître, aimé par tous ceux qui sont sensibles aux grandes émotions et reconnaissans aux poètes qui les leur ont fait ressentir, redouté par ses rivaux, il n’est indifférent à personne. Il excite également la curiosité de ses amis et de ses ennemis. Son nom éveille des sentimens très contraires, mais où la tiédeur n’entre pour rien. Il s’est plaint mainte fois avec amertume et colère des railleries et des injures de ses adversaires ; en vérité il avait tort. S’il est vrai par hasard, comme le disent les modernes hégéliens, et comme M. Hugo semble le penser lui-même[1], que le mal n’est qu’une forme inférieure du bien, il est encore bien plus vrai que la raillerie et l’injure sont des formes inférieures de l’admiration. Il n’est pas donné à tout le monde de soulever l’injure et la colère : c’est Ulysse qu’injuriait Thersite, lorsqu’il fut frappé par le héros de son sceptre d’or ; c’est derrière le char des triomphateurs romains que marchait la foule des railleurs, jaloux de se venger de leur obscurité ; quant à la calomnie, on ne l’emploie que contre ceux sur lesquels la médisance ne pourrait pas mordre. Les attaques et les haines sont des preuves de notre supériorité données par nos ennemis eux-mêmes, et dans la conscience de notre supériorité, quand on l’a aussi fortement que M. Hugo, il y a de quoi consoler des ennuis de l’exil volontaire, de la solitude et de l’espérance trompée. Salut donc au grand magicien qui vient nous donner encore une fois la preuve de sa puissance d’incantation et des ressources inépuisables de sa science merveilleuse !

Indépendamment des passions politiques et littéraires qui sont attachées désormais au nom de l’auteur, les deux volumes de poèmes qu’il vient de publier ont en eux de quoi éveiller puissamment la curiosité de tous les lecteurs sympathiques, hostiles ou indifférens. Les ennemis y chercheront sans les rencontrer les marques de l’âge qui s’avance, les ravages exercés sur l’imagination par la solitude et le chagrin. Vaine espérance ! ce rare talent, qui dans les jours de la prospérité avait été assez vigoureux pour ne pas succomber sous ces ivresses du succès qui lui étaient si chères, a su résister aux plus furieuses tempêtes de l’adversité. Le malheur a été pour lui à la

  1. Voyez dans la préface de la Légende des Siècles les quelques lignes qu’il a consacrées à un poème annoncé : la Fin de Satan.