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lement de Berlin est resté debout. Aux yeux de l’Allemagne, c’est pour la Prusse un grand honneur. Là est l’avenir de la liberté germanique. Autour de la maison de Hohenzollern se sont ralliées les sympathies et les espérances de tous les esprits d’élite et de tous les patriotes. Tandis que l’Autriche, avec la monarchie absolue, représente une forme de gouvernement qui est décidément antipathique aux idées et aux besoins de notre siècle, la Prusse, avec sa monarchie tempérée, avec une tribune libre, avec une presse qui discute, représente le libéralisme allemand. Ce fut au roi Frédéric-Guillaume que le parlement de Francfort offrit en 1849 la couronne de l’empire germanique : l’empire n’a pas vécu, la couronne n’a pas été portée; mais dans cette occasion solennelle la suprématie politique et morale de la Prusse recevait un éclatant témoignage. Plus tard, lorsque, désireuse d’intervertir les rôles, l’Autriche s’est avisée de proclamer l’union allemande et de placer sous le patronage de ce symbole populaire ses plans d’association commerciale, elle n’a été écoutée qu’avec défiance, et, sauf quelques exceptions, le parti libéral a gardé vis-à-vis d’elle l’attitude du Troyen qui repoussait les présens des Grecs. Une partie de l’Allemagne a refusé de l’Autriche ce que l’Allemagne tout entière eût accepté de la Prusse. Et puis la maison de Habsbourg, régnant sur vingt races différentes, au milieu desquelles la race germanique se trouve en minorité, ne saurait exercer dans la confédération, en dehors des attributions politiques qui lui ont été conférées par les traités, une influence morale qui puisse se comparer avec celle qui appartient à la monarchie, presque entièrement allemande, fondée par Frédéric le Grand. Voilà ce qui donne à la Prusse tant de force contre l’Autriche. Elle s’appuie sur les sentimens de libéralisme et de nationalité.

Telle est la situation respective des deux puissances rivales. Si la paix n’avait pas été troublée, l’union austro-allemande rencontrerait longtemps encore d’insurmontables obstacles, tant il existe d’élémens contraires et antipathiques entre la politique de Berlin et celle de Vienne! Mais si dans le délai très court qui va s’écouler jusqu’à l’époque où les commissaires du Zollverein et de l’Autriche doivent se réunir, les sentimens d’une grande partie de l’Allemagne à l’égard de la France ne se modifiaient pas, si les états qui ont épousé si ardemment pendant la guerre la cause de l’Autriche persistaient à croire qu’ils sont aussi les vaincus de Solferino, en un mot si les terreurs d’un autre temps venaient à se propager, il ne serait pas surprenant de voir soudain, contre le gré de la Prusse et par la conspiration des états secondaires, discuter sérieusement le projet d’union. Quoi qu’il arrive, le cabinet de Vienne insistera d’autant plus fortement pour l’union qu’il se sentira plus appuyé par ses anciens alliés et mieux secondé par les circonstances, et si