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où il avait rédigé la pétition des négocians de Leipzig et signalé les bienfaits d’une alliance commerciale entre les membres de la confédération germanique, plus de vingt ans s’étaient écoulés, et il pouvait considérer avec quelque orgueil la réalisation déjà très avancée d’une idée dont il avait été l’apôtre le plus ardent. Une nouvelle tâche s’offrait à son vigoureux esprit d’initiative. Les progrès accomplis par les manufactures du Zollverein démontraient que l’Allemagne était en mesure de prendre rang parmi les premières puissances industrielles. List se consacra dès lors tout entier à l’étude des moyens propres à développer le travail des ateliers, et il se déclara pour l’élévation des tarifs de douane, pour les taxes différentielles, etc. En 1841, il publia le Système national d’Economie politique, écrit remarquable dans lequel il développait les principes qu’il désirait faire prévaloir; deux années plus tard, en 1843, il fonda à Augsbourg un journal, le Zollvereinsblatt, où il soutint, jusqu’à la veille de sa mort, survenue en 1846, une polémique très habile dans l’intérêt du parti manufacturier, qui l’avait d’une commune voix reconnu pour organe et pour chef.

Les opinions de List surprirent et indignèrent vivement, à l’intérieur de l’Allemagne comme au dehors, les publicistes de l’école libérale. Il semblait en effet qu’il y eût contradiction entre le rôle que cet écrivain avait rempli lors de la formation du Zollverein et la mission qu’il se donnait de pousser aux aggravations de tarif. On ne comprenait pas comment le libéral de 1819 avait pu devenir le protectioniste de 1841. La lecture attentive du Système national explique cette apparente conversion. List n’était point seulement un homme d’affaires très exercé et un brillant économiste, il était surtout et avant tout un patriote allemand. Il avait d’abord voulu établir au sein de l’Allemagne l’unité commerciale, et il avait traduit cette pensée par la suppression des douanes intérieures ; il voulait maintenant que l’Allemagne, à l’exemple de l’Angleterre et de la France, entrées avant elle dans les voies fécondes de l’industrie, fût en possession de la grandeur manufacturière. Le territoire de la confédération lui semblait assez vaste et situé dans des conditions assez favorables pour que l’on tentât d’y implanter les principales branches d’industrie; c’était, à ses yeux, une garantie nécessaire de liberté et d’indépendance pour la patrie allemande, et pour atteindre ce but national, il ne craignait pas d’élever à la frontière extérieure les barrières des douanes. L’idée de nationalité était si profondément empreinte dans l’esprit de List, qu’il imagina en son honneur une théorie particulière d’économie politique, théorie qu’il serait assez difficile de rattacher directement soit à la doctrine du libre-échange, soit à celle de la protection, et qui invoque