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aucune espérance de la voir un jour mobilisée et réunie pour la défense de la patrie commune? Est-ce une chimère de concevoir les forteresses fédérales de l’Italie remises à des troupes italiennes, mais non pas indigènes : Plaisance par exemple gardée par des Napolitains, Gaëte par des Lombards, Mantoue par des Romains; la fusion enfin s’accomplissant par ces mille moyens de contact qui naissent de la liberté civile et que fortifie la discipline militaire?

Encore une fois, ce ne sont là que des conjectures, peut-être même des illusions ou des rêves. Dût aucune de ces idées n’aboutir à un résultat, nous ne regretterions pas de les avoir émises avec une conviction raisonnée. Dans notre pensée même, deux choses suffiraient pour aider puissamment à la solution d’un problème encore si obscur : la sincérité de l’Autriche et la patience de l’Italie. Beaucoup sont portés à suspecter la sincérité de l’Autriche quand ils se rappellent qu’elle n’a pas tenu les pompeuses promesses faites en son nom aux Italiens à la fin de 1813, et qu’elle a retiré en 1849 ses offres de transaction aussitôt qu’elle eut repris son ascendant militaire. Il semble pourtant aujourd’hui que l’intérêt même de l’Autriche lui fasse une loi de se prêter à l’organisation d’un pays où elle ne peut plus dominer. Son honneur est sauvegardé. La belle province qu’elle conserve couvre ses frontières et assure sa marine naissante; mais elle ne la conserve de droit et ne la gardera de fait qu’à la condition de la gouverner dans le sens de la nationalité italienne. Les réformes intérieures et la surveillance incessante des affaires de l’Orient doivent absorber désormais l’attention de ses hommes d’état. Nous savons bien que la politique autrichienne abdiquera avec peine les vieilles prétentions du saint-empire à régner sur l’ensemble de la grande famille des peuples européens. Le mot d’ordre des publicistes, sinon des diplomates autrichiens, consiste à persuader aux Allemands que toute la civilisation européenne, et la grandeur de l’Allemagne avec elle, seraient compromises si Vienne cessait d’être la capitale allemande. Ils présentent Vienne comme le point central de l’action réciproque des quatre grandes races de l’Europe, les races germanique, latine, slave et tartare, et soutiennent que de Vienne doit partir un mouvement de concentration de ces races plus étendu et plus considérable que celui dont cette capitale est aujourd’hui l’origine et le foyer. En ce moment, des faits invincibles parlent trop haut pour que l’Autriche puisse encore songer à absorber aucune portion de cette race latine qui la repousse obstinément. D’ailleurs tous ses moyens d’agir sur les trois autres races lui restent complets et entiers, et ce champ est, ce nous semble, assez vaste pour suffire à l’activité d’un grand pays.

Quand nous parlons de la patience de l’Italie, nous entendons que l’Italie conserve son attitude calme et ferme. Un peuple qui ne veut