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tation servile de l’antiquité par ses côtés les moins purs. Un seul homme d’un génie vraiment italien se montre alors, et ce génie ne s’attache qu’à bafouer la foi et l’héroïsme des âges précédens. L’Arioste jette à pleines mains le ridicule sur ces épopées chevaleresques dont ses contemporains et lui-même ne comprenaient plus la véritable et naïve grandeur.

Ainsi la renaissance des lettres, au lieu de placer l’Italie dans de meilleures conditions sociales, n’a fait, suivant nous, que hâter sa déchéance politique, en contribuant à énerver les caractères et à fausser les esprits sous l’influence de gouvernemens corrupteurs. Ce n’est que sous les bons gouvernemens que la littérature apporte au patriotisme des alimens vigoureux et sains. Aussi le mal va-t-il devenir irrémédiable. La péninsule, depuis le temps des Othons, s’était habituée à vivre d’une vie politique empruntée; les cités, les princes, les papes eux-mêmes, avaient reconnu et invoqué presque toujours l’arbitrage impérial, et la lutte n’avait porté que sur la mesure dans laquelle il était opportun d’accepter cette primatie étrangère. De même, depuis les Médicis et Léon X, l’Italie, dans les choses littéraires, ne jette qu’un éclat artificiel. Elle contrefait le passé sans rien semer pour l’avenir; elle augmente ses jouissances intellectuelles sans recouvrer ses vertus publiques. Elle a encore, il est vrai, quelques grands hommes qui veulent sauver leur pays en remontant le courant troublé pour s’abreuver à la source vive. Jérôme Savonarole est un moine patriote, un tribun réformateur, qui donne à Florence, un moment convertie, le Christ pour souverain et la règle d’un couvent pour loi; mais la politique païenne, incarnée dans Alexandre VI, arrête la propagande de l’audacieux dominicain, dont la voix est étouffée dans les flammes. Machiavel, à son tour, s’indigne que l’on ne prenne aux anciens que leur mollesse et leur corruption, sans imiter leur énergie et leur sévérité. Il demande pour sa patrie une dictature, et quand le dictateur lui fait défaut, il écrit pour l’Italie entière ce livre du Prince, dédié au libérateur inconnu qui doit arracher la péninsule aux barbares. Ce livre devient une arme dont l’auteur n’avait point prévu la portée : la politique froide, astucieuse, impitoyable, qu’il réduit en théorie, est pratiquée par les princes italiens bien moins contre les étrangers que contre leurs propres compatriotes. Deux papes éminens apparaissent ensuite, qui entreprennent de gouverner dans un sens contraire à cette mauvaise renaissance dont le dernier terme doit être l’enfantement de la servitude. L’un, pontife guerrier, Jules II, prétend restaurer en Italie le régime des vertus antiques et en chasser les barbares; mais en poussant les souverains de l’Europe à s’entre-choquer, il s’aperçoit trop tard qu’il leur a livré l’Italie comme un champ de bataille. L’autre, moine austère, Pie V,