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Ils ne veulent point admettre que ces restrictions reposent sur un sentiment d’humanité. « Les égouts, disent-ils, sont noirs et peu agréables ; mais la faim est un antre bien autrement ténébreux et terrible : à quoi bon écarter les dangers de mort de la tête des pauvres gens, si d’un autre côté on leur enlève les moyens de vivre ? » Malgré les prohibitions qui gênent et contrarient les courses mystérieuses dans l’intérieur des égouts, le gain des sewer-hunters est encore supérieur à celui de la plupart des ouvriers. Ils forment sans contredit, par l’intelligence, par le courage et par l’importance des profits, l’aristocratie des trouveurs. Seulement ils vivent sur l’éventualité, et ce qui vient du hasard retourne au hasard. La prévoyance et l’économie sont leurs moindres vertus. À peine ont-ils fait une bonne chasse qu’ils se dirigent vers quelque public house de bas étage ; là ils boivent et mangent durant quelques jours jusqu’à ce que leur poche soit vide. La faim, qui chasse le loup du bois, fait redescendre les sewer-hunters dans les sombres repaires, d’où ils sortent pour se livrer à de nouveaux excès de boisson et de bonne chère. Peut-être ces goûts de dissipation tiennent-ils à la nature du métier : aux travaux sombres et répugnans il faut des diversions violentes. Et puis, s’il existe un lien, comme on le croit généralement, entre la malpropreté physique et certaines habitudes morales, on ne doit pas s’attendre à trouver chez des hommes qui vivent avec la boue, avec la nuit, avec la solitude des égouts, des inclinations très délicates. Grâce à cette dissipation, ils sont pauvres, mal vêtus, mal logés, au milieu des élémens d’une certaine aisance. Leurs affreux réduits sont situés dans les quartiers de Londres les plus déshérités. On les trouve dans quelques rues obscures et fétides du Borrow, mais surtout dans cette vallée de misères qui s’étend entre les docks et Rosemary-Lane. On compte aussi dans Holborn cinq familles qui vivent de ce qu’elles glanent dans les champs de la corruption et de la mort. On serait tenté de croire que des hommes qui passent une partie de leur temps au milieu des vapeurs nauséabondes portent sur leur figure l’empreinte livide du milieu où ils s’agitent. Telle n’est pourtant point la condition des chasseurs d’égouts : ce sont généralement des hommes forts, à la mine joyeuse ou du moins indifférente, au teint fleuri. L’odeur repoussante de ces lieux infects est selon eux un préjugé qui se dissipe bien vite avec la pratique du métier. Les chasseurs d’égouts sont autant d’affiliés occultes, et ils ne souffrent point que les intrus viennent chasser sur leur terrain. Ils sont connus les uns des autres par un sobriquet sous lequel s’efface entièrement leur nom de famille. Si morne qu’il soit, le métier a pour eux des charmes : outre l’appât du gain, les sewer-hunters y sont attirés par des goûts d’indépendance. « J’aime ce genre de vie, disait l’un d’eux présentant