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nie. L’impuissance de l’empire est alors bien avérée; si l’on invoque encore au-delà des Alpes le vieux droit des césars, c’est uniquement dans l’intérêt personnel de la maison d’Autriche, pour qui l’Italie est un domaine, un fief, et non une nation distincte. Ce moment est décisif pour la péninsule. Autour d’elle, tous les peuples, obéissant à une même impulsion, se consolident fortement; seule, oscillant entre l’anarchie et la servitude, elle néglige de se concentrer, même sous la forme fédérative, et finit par tomber assujettie à la domination de ses voisins.

A dater de la décadence de la maison d’Anjou, qui, par sa puissance bien assise, par son action sur le parti guelfe, par ses alliances au dehors, avait longtemps exercé une influence prépondérante, l’Italie était laissée à elle-même, et la situation générale de l’Europe la mettait à l’abri de toute intervention extérieure. « Libre de la pression de l’étranger, elle allait, dit l’historien de la lutte des papes et des empereurs, avoir à régler seule sa propre organisation : depuis la chute de l’empire romain, pareille conjoncture ne s’était point présentée; c’était une ère nouvelle qui commençait. Si un grand parti national eût existé, le pays eût pu se constituer et prendre rang en Europe. Malheureusement il n’y avait que des ambitions égoïstes et pas un grand citoyen. Chacun travaillait à asservir sa patrie; personne ne songeait à l’affranchir. » Il serait cependant injuste de nier qu’au milieu même de la diffusion des forces et de la divergence des vues, l’idée d’une sorte de solidarité entre tous les Italiens n’eût point pénétré au fond de quelques esprits. Dès le XIIe siècle, un prêtre de Milan nommé Oberto, affligé des dissensions de la Lombardie, adressait à ses auditeurs rassemblés dans la cathédrale cette admirable apostrophe : « Et toi. Milan, tu cherches à supplanter Crémone, à bouleverser Pavie, à détruire Novare! Tes mains se lèvent contre tous, et les mains de tous contre toi... Oh! quand arrivera-t-il ce jour où l’habitant de Pavie dira au Milanais : « Ton peuple est mon peuple, » et le citoyen de Crema au Crémonais : «Ta cité est ma cité[1]. » Ce n’est pas la charité chrétienne qui seule inspirait ces paroles, on sent là comme un souffle patriotique qui veut se répandre au-delà des limites étroites de la cité. Pourquoi cet élan généreux ne réussit-il pas à concilier les cœurs, dominés par leur fatal entraînement vers la théocratie ou vers la monarchie impériale? Ceux même d’entre les Italiens du moyen âge qui voulurent affranchir l’Italie et faire la révolution laïque à Rome, au XIIe siècle Arnaud de Brescia, au XIIIe Brancaleone, au XIVe Rienzi, songèrent moins au présent qu’au passé; ils ne se rattachaient pas à l’empire, mais ils remontaient

  1. Murator., Antiq. ital. med. œvi, t. IV, p. 8.