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leur promit les indulgences accordées pour la guerre en Terre-Sainte, beaucoup de voix prononcèrent le vœu de défendre l’église, et le peuple promit de repousser les impériaux, s’ils osaient attaquer Rome[1]. » Ce jour-là, le peuple romain, en s’unissant à Grégoire contre Frédéric, sauva le pouvoir temporel des papes. Il ne songea pas à l’importance immense qu’aurait eue alors pour l’œuvre commune son alliance avec un empereur au cœur italien. Frédéric II introduit au Capitole, c’était l’unité de l’Italie acclamée par le parti gibelin. L’émotion du moment et l’exaltation religieuse l’emportèrent sur le soin de l’avenir et sur les sollicitations de la politique.

Toutefois le but de Frédéric II était si nettement défini qu’après sa chute son fils Manfred reprit sans hésiter l’œuvre interrompue. Celui-ci n’avait aucun engagement envers l’empire, il avait même rompu avec l’Allemagne en s’attribuant la couronne de Sicile au détriment des droits de son neveu Conradin. Il offrait donc aux guelfes une occasion naturelle de se grouper sous le drapeau d’un prince exclusivement italien qui aurait apporté à leur ligue des élémens certains de cohésion et de durée. Toutes les démarches de Manfred furent dirigées dans ce sens, et il obtint même l’assentiment de plusieurs républiques italiennes. Cependant, quoique la séparation de l’Allemagne et de la Sicile fût un fait accompli, quoique leur réunion dans les mêmes mains ne mît plus, comme sous Frédéric II, l’indépendance de la papauté en péril, les pontifes de Rome défendirent au parti guelfe de pactiser avec Manfred, dont ils poursuivirent et consommèrent la ruine. La péninsule, cette fois encore, perdit la chance d’avoir à sa tête ce rex Italiœ qui pouvait seul la protéger contre ses propres discordes et contre l’invasion.

Il est vrai qu’un fait jusqu’ici peu connu explique autrement que par la seule divergence des intérêts temporels l’animosité des papes contre la maison de Souabe. C’est la tentative hardie de Frédéric II pour établir une église particulière dont il eût été le chef, avec le dessein avoué non-seulement d’enlever au pape le gouvernement spirituel du royaume de Sicile, mais aussi de faire triompher chez les états voisins la suprématie religieuse du pouvoir laïque. Poussé au suprême excès de l’orgueil par la violence même de la lutte qu’il soutenait, cet empereur en était venu à se regarder presque comme une incarnation du Dieu vivant. Pierre de La Vigne, son principal ministre, était devenu aussi son premier apôtre, ou, comme le fait clairement entendre un contemporain, le nouveau Pierre, la pierre angulaire de la nouvelle église. Ce jeu de mots peut sembler une

  1. Histoire de la Lutte des papes et des empereurs, etc., t. II, p. 219, 220.