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guer matériellement l’Italie, ni à changer en souveraineté effective et régulière le droit abstrait que leur conférait le titre de successeurs de Charlemagne. L’Allemagne féodale ne pouvait s’assimiler l’Italie romaine. Si nous additionnons, avec l’histoire sous les yeux, les expéditions que les princes saxons, franconiens et souabes conduisirent eux-mêmes au-delà des Alpes, nous trouvons que, de 950 à 1250, ils y séjournèrent quatre-vingt-cinq ans personnellement, et en armes, sans compter les guerres continuelles que leurs lieutenans eurent à soutenir. On voit quelle somme énorme d’efforts fut dépensée en pure perte, quels sacrifices de tout genre l’Allemagne s’imposa pour une annexion sans résultat. La Lombardie à elle seule renferme dans son sein plus de cadavres allemands qu’il n’y a de pierres sur son sol.

Le principal mobile de la résistance à l’élément germanique et féodal se rencontra dans l’esprit municipal des anciennes cités latines, lequel s’était perpétué à travers les transformations successives de l’administration locale. Assez fort pour tenir en échec devant des murailles à peine reconstruites la puissance du souverain de l’Allemagne, cet esprit, en soi énergique et fier, mais indocile, ne pouvait se régir lui-même, encore bien moins constituer une nation. Pour mettre un terme aux discordes intestines qui les déchiraient, les communes italiennes allaient chercher au dehors un podestat, et ce dictateur étranger n’avait qu’une autorité étroitement limitée dans sa durée, comme si la chose dont on dût le plus se garder eût été la stabilité du gouvernement. L’Italie prise en masse appliqua à la notion du pouvoir le système de bascule que chaque ville pratiquait dans son propre sein. Les communes se firent tour à tour guelfes et gibelines, soutenant tantôt le pape et tantôt l’empereur, en vertu de cette maxime : qu’il est bon d’avoir deux maîtres, afin de n’obéir à aucun. Au fond, peu leur importait de savoir où résidait le droit souverain, pourvu qu’en fait leur indépendance locale n’eût à subir aucune atteinte.

Rodolphe de Habsbourg, sans renoncer aux prétentions de l’empire sur l’Italie, s’était prudemment abstenu d’entrer dans ce pays, qu’il comparait à la caverne du lion. Ses successeurs entreprirent de s’y montrer moins en conquérans qu’en pacificateurs, entourés d’un conseil de chevaliers légistes qui cherchaient à corroborer le vieux principe de la monarchie romaine par toutes les subtilités de la jurisprudence féodale. Dans les dissertations de ces légistes, on n’entrevoit aucun plan sérieux de gouvernement. Ils se bornent à réclamer l’obéissance pour un prince qui n’est pas en état de se faire obéir. Aussi, dès que les empereurs ne parurent plus redoutables, leur droit fut d’autant moins contesté que l’invasion étran-